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“Une autorité administrative indépendante pourrait contrôler l’action publique en matière environnementale”

Justine Duval et Bastien Cuq, membres du collectif Pour un réveil écologique, observent les limites de l’action publique en matière environnementale et proposent la création d’une autorité dédiée. La formation est cruciale, soulignent-ils.

Justine Duval et Bastien Cuq, du collectif Pour un réveil écologique.

Pourquoi faut-il “réveiller” l’action publique en matière écologique ?
Les administrations et institutions publiques emploient environ 20% de la population active. En vertu de leur travail de conception et de mise en œuvre des politiques et services publics, elles ont un triple devoir de responsabilité, d’exemplarité et de cohérence. D'abord, les acteurs publics ont la responsabilité d’assurer sur le long terme l’accès des Français à des services publics soutenables et de préserver les biens communs environnementaux pour les générations actuelles et futures. Ensuite, l'exemplarité est indispensable pour embarquer l'ensemble des citoyens français et pour légitimer les politiques environnementales. Enfin, ils doivent assurer la cohérence entre les politiques publiques et l’ensemble des engagements pris à l’échelle nationale (stratégies environnementales, charte de l’environnement) et internationale (objectifs européens, accord de Paris).
Or, l'action publique en matière environnementale n'est pas au niveau des objectifs environnementaux fixés au niveau national et européen. S’agissant uniquement du climat, le Conseil d’État a enjoint au gouvernement en 2021 d’adopter des mesures supplémentaires pour atteindre son objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Cette difficulté, voire incapacité, des acteurs publics à tenir leurs engagements n'augure rien de positif pour la jeune et les futures générations. De plus, dans un contexte de baisse d’attractivité de la fonction publique, ce manque de confiance dans l'action publique lui est préjudiciable, puisque les administrations n'attirent pas les profils les plus motivés et déterminés pour résoudre les défis environnementaux. Ce sont les raisons pour lesquelles nous avons intitulé notre rapport Pour un réveil écologique de l'action publique, dans lequel nous proposons 27 mesures pour repenser l'action publique au regard de l'urgence environnementale.

Vous évoquez le Conseil d’État qui, dans ses activités contentieuses, permet déjà de contrôler l’action de l’État. Estimez-vous qu’il soit utile et nécessaire de créer, en plus, une autorité administrative indépendante chargée également de contrôler l’action des acteurs publics ?
Nous avons fait le constat que l’absence de pouvoir contraignant des institutions chargées d’évaluer l’action publique est un manque de la gouvernance environnementale. Il n'existe pas d'administration indépendante ayant une capacité d'auto-saisine pour contrôler l'action publique environnementale. Le périmètre de contrôle du juge administratif dépend des requêtes des citoyens. L’Autorité environnementale (Ae), chargée de l'évaluation environnementale de plans et programmes indiquait, dans son rapport annuel 2021 que « les mêmes programmes, les mêmes financements, les mêmes projets qui auront, pour la plupart d’entre eux, des conséquences irréversibles sur une ou plusieurs dizaines d’années sont invariablement présentés ». Si l'indépendance de l'Ae a été renforcée par le décret du 28 avril 2016, ses avis sont des avis simples, c’est-à-dire qu’ils ne s’imposent pas à l’autorité chargée de l’examen au cas par cas des projets.
S'agissant du Haut Conseil pour le climat (HCC), qui joue un rôle crucial dans le débat public, il manque cruellement de moyens et ne peut qu'émettre des avis ou recommandations à destination de l'État et des collectivités territoriales. De plus, le HCC n'est compétent que vis-à-vis des enjeux climatiques et non des autres crises environnementales telles que l’effondrement de la biodiversité ou la raréfaction des ressources naturelles. Nous souhaiterions donc renforcer les modalités de contrôle de l’action publique en matière environnementale, prenant en compte les Limites Planétaires - ndlr : les seuils que l'humanité ne devraient pas dépasser pour préserver un écosystème sûr. Cette Autorité de Protection des Limites Planétaires pourrait être une Autorité Environnementale aux pouvoirs étendus et aux moyens renforcés et dont les avis seraient rendus conformes. Cela garantirait un contrôle plus exhaustif de chaque plan et programme face aux limites planétaires.
Elle pourrait aussi se calquer sur le modèle de la Cour des comptes, avec six collèges relatifs aux objectifs environnementaux de la taxonomie européenne, capables d’évaluer, contrôler l’action publique et de saisir les tribunaux si des écarts aux objectifs fixés dans les lois sont constatés. Toutefois, le contrôle et la critique ne doivent pas se faire au détriment de l'action. Or la capacité d’action des administrations et établissements publics face à l’urgence écologique n’est pas acquise. C'est la raison pour laquelle il convient d'une part, de réaliser une analyse des missions, de l’organisation et des moyens de toutes les administrations publiques au regard de la planification écologique, et d'autre part, de former tous les agents publics pour la mettre en œuvre.

Les administrations pourraient s’appuyer sur la formation-action et sur la formation par les pairs, en favorisant les échanges avec des agents publics directement investis dans des politiques publiques écologiques ou le verdissement de l’administration.

La formation est essentielle, comme vous le soulignez. Faut-il la développer ? La repenser ?
Développer la formation aux enjeux environnementaux des agents publics est indispensable et doit être rendue obligatoire. En juin 2022, nous suggérions la conception et la mise en œuvre d'un programme national de formation écologique des agents publics : 100% des hauts fonctionnaires formés d’ici fin 2024 et 100% des agents publics formés d’ici fin 2025. Le 11 octobre, 4 ministres ont présenté le plan de formation des cadres de l’État avec l’ambition de former 25.000 hauts fonctionnaires de l'État d'ici à 2024, puis leurs collègues de la fonction publique territoriale (12.000 cadres) et de l'hospitalière (4.000) d'ici 2025. Nous saluons l’ambition de ce calendrier, et nous suivrons de près sa mise en œuvre. Nous restons toutefois dans l’attente de précisions sur la manière dont tous les agents publics seront formés et sur les moyens humains et budgétaires qui seront ensuite alloués aux administrations pour qu’elles puissent effectivement mettre en œuvre leurs nouvelles compétences.
La question de la massification de la formation sera un grand défi. Les outils numériques offrent des perspectives intéressantes pour former tous les agents publics, mais cela ne garantit pas la bonne assimilation des connaissances. Les administrations pourraient donc s’appuyer sur la formation-action et sur la formation par les pairs, en favorisant les échanges avec des agents publics directement investis dans des politiques publiques écologiques ou le verdissement de l’administration. Pour plus d'efficacité, la formation par les pairs pourrait être pensée dans une logique de formation en cascade.
Dans ce cadre, deux approches complémentaires et cumulatives pourraient être mises en place. D'abord une approche inter-administration pour la formation des fonctionnaires sur les connaissances socles vis-à-vis des enjeux environnementaux. Ensuite, une approche par département ministériel, collectivités territoriales ou établissements publics pour mutualiser la conception et le déploiement de formations spécifiques à chaque domaine de l’action publique, en lien avec les métiers et territoires des agents.

Comment mieux et davantage coconstruire avec les agents et tous les acteurs territoriaux ainsi que les citoyens ?
Nous avons observé lors de nos rencontres et échanges que c’est l’association de l'ensemble des parties prenantes et la co-construction qui permettent de conduire effectivement le changement. Pour réussir, la planification écologique va devoir mobiliser l’ensemble des agents publics, des entreprises, des citoyens et acteurs territoriaux. Pour nous, trois chantiers doivent voir le jour. Les agents doivent pouvoir participer à l’élaboration de la stratégie environnementale de leur administration et à la mise en œuvre de cette dernière. Quant aux citoyens, leur association à la planification écologique, via des conventions citoyennes, doit permettre de renforcer et de légitimer l’action publique écologique. Concernant les territoires, pour territorialiser les stratégies nationales environnementales, de nouvelles instances de gouvernance pourraient voir le jour.

Le premier essai de planification écologique doit être le bon.

N’est-ce pas surtout une affaire de volonté politique ? Est-ce de fait le moment, alors que la planification environnementale est au devant de l’actualité ?
C’est d’abord une affaire de volonté politique. L’impulsion doit être donnée au sommet du pouvoir exécutif, que ce soit au niveau national ou dans les collectivités territoriales. Cette volonté politique émergera d’autant plus vite que la pression des citoyens et agents publics, regroupés parmi des collectifs ou syndicats, sera forte. C’est ensuite une affaire de pratiques administratives. Les administrations doivent s’ouvrir et dialoguer davantage avec l’ensemble des parties prenantes.
S’agissant de la planification, la participation des agents, des citoyens et des territoires est une condition nécessaire à une large acceptation et une mise en œuvre effective. Cette question de l’acceptation est cruciale car planifier c’est choisir un chemin de société parmi de nombreuses possibilités. Si elles ne sont ni discutées, ni partagées, ni acceptées par le plus grand nombre, il y a fort à parier que cette planification demeurera lettre morte. L’option de la marche forcée serait risquée et nuirait à son efficacité. Or, compte tenu du temps imparti au regard des défis environnementaux pour limiter les points de non-retour, le premier essai de planification écologique doit être le bon. Cela supposera des concessions chez divers acteurs, y compris pour le gouvernement.

Comment voyez-vous la suite ? Êtes-vous confiants ?
Nous avons besoin d'accélérer la transition écologique, ce qui suppose un concours des entreprises, des citoyens et des administrations. S’agissant de la transformation et de la mise en mouvement des administrations, nous saluons les récentes annonces sur la formation des cadres de l’État. La question est de savoir si elles seront suivies d'effets et surtout si elles pourront effectivement infléchir la trajectoire environnementale désastreuse que nous suivons. En effet, alors que les feux de forêt de l'été 2022 ont rappelé que les conséquences du changement climatique ne sont pas des menaces lointaines, au rythme de développement actuel, le changement climatique pourrait atteindre 2,7°C à la fin du siècle. Aujourd’hui, un nombre croissant d’étudiants, dont les 33 000 signataires du Manifeste étudiant pour un réveil écologique, s’interrogent sur la meilleure manière d’apporter leur contribution à la transition écologique. Il est important de redorer le blason des carrières de l’administration publique, pour qu’elle redevienne le lieu privilégié de l’intérêt général et de l’action écologique. Nous savons que l’État et toutes les administrations publiques peuvent entraîner l’ensemble des acteurs de la société vers un monde soutenable, résilient et inclusif, dans lequel chaque citoyen vit mieux. Nous les appelons donc, par la mise en œuvre des propositions du présent rapport, à devenir responsables, cohérentes et exemplaires dans toutes leurs entreprises. Ces actions seront d’autant plus efficaces qu’elles seront crédibles, c’est-à-dire qu’il leur faudra allier faisabilité et radicalité.

Propos recueillis par Sylvain Henry

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Club des acteurs publics

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