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Thomas Cazenave : “La transformation de l’action publique sera un élément important du programme”

Dans un entretien pour Acteurs publics, celui qui sera en charge du volet “action publique” du programme du très vraisemblable candidat Emmanuel Macron fait le bilan du quinquennat en matière de transformation publique et se projette sur le mandat à venir. Pour l'ancien délégué interministériel à la transformation publique, la transformation de l’action publique sera un enjeu clé du prochain quinquennat. “Nous innoverons sûrement dans la méthode”, affirme-t-il.

Vous êtes “relais en charge des enjeux d’action publique” dans l’équipe de campagne de la majorité présidentielle. Comment préparez-vous vos propositions en matière d’action publique ?
Nous avons souhaité, au sein de l’équipe de la majorité présidentielle, interagir avec la société civile sur les enjeux d’action publique. Nous allons à la rencontre de toutes celles et ceux qui veulent partager avec nous leurs constats et leurs propositions : agents publics, think tanks, organisations syndicales, monde universitaire et de la recherche, secteur associatif, etc. Relais en charge des enjeux de puissance publique, mon rôle consiste ainsi à connecter notre projet à la société civile et à apporter des recommandations et des réponses aux aspirations qui remontent du terrain. Nous continuons de porter la démarche initiée en 2016 et 2017 : aller frapper à la porte des citoyens, aller à leur rencontre. C’est notre manière de faire de la politique et de concevoir notre programme. Cela se vérifiera sur les enjeux de transformation de l’action publique.

Ces enjeux de transformation publique n’imprègnent pas – pas encore ? – le débat public en ce début de campagne, alors que les enseignements de la crise relatifs à notre modèle de fonction publique sont pourtant nombreux. L’approche budgétaire, avec l’interrogation sur le nombre de postes de fonctionnaires à supprimer ou non, peut difficilement être la porte d’entrée de la réflexion. Comment faire ? 
C’est tout le problème de ce début de campagne, avec des débats caricaturaux. En 2017, nos propositions n’étaient pas réduites à la question du nombre de fonctionnaires. Le droit à l’erreur, le développement de guichets uniques, se traduisant aujourd’hui par plus de 2 000 maisons France services, la simplification des démarches, une plus forte déconcentration… Ces promesses de 2017 qui ont été mises en œuvre, pour n’en citer que quelques-unes, traduisent le programme de transformation publique développé pendant le quinquennat. Par ailleurs, la crise sanitaire a apporté aussi des avancées. Je retiens notamment le fait d’aller vite, alors que l’action publique peut parfois s’enliser pendant des mois, voire des années pour faire aboutir une réforme. Prenez l’exemple du fonds de solidarité pour les entreprises : il a été mis en place en quelques semaines par Bercy. Il faut maintenant être capable de capitaliser sur cette manière de faire en dehors des temps de crise. Nous devons réfléchir différemment dans notre rapport au temps. Les délais de traitement des dossiers restent encore aujourd’hui la première attente des Français vis-à-vis du service public, d’après les résultats du baromètre Delouvrier de décembre 2021. Peut-on, dans d’autres contextes, se donner la même exigence d’aller vite ? L’effondrement de la participation aux élections locales de ces deux dernières années relève aussi d’une crise de l’efficacité de l’action publique. Les citoyens peuvent considérer qu’on ne résout pas leurs problèmes suffisamment rapidement. Alors certains n’y croient plus et ne vont plus voter. 

Quid des territoires ? Qu’a révélé la crise, selon vous, de la relation État-collectivités ? 
C’est la deuxième avancée que je retiens, en matière de déconcentration : le renforcement du couple préfet-maire et la différenciation des mesures et des interventions sur le territoire, là où la puissance publique était – à juste titre parfois – accusée de mettre en œuvre des dispositifs de manière uniforme et monolithique quel que soit le territoire. Voilà un enseignement fort pour impulser une autre façon d’agir. Je retiens une troisième dimension, relative aux nouvelles formes de travail. Le télétravail avait progressé très lentement, du fait de nombreux obstacles et résistantes internes. En dix-huit mois, il s’est imposé, là où c’est possible, comme une évidence, alors que les missions des agents qui interviennent en distanciel sont parfaitement menées. Cela doit nous inspirer, là encore, une autre manière d’organiser le travail des agents publics. 

Le succès des maisons France services est une réponse concrète et opérationnelle que les élus locaux se sont pleinement appropriée.

On a le sentiment que la crise a aussi creusé encore plus le fossé entre ceux qui disposent des outils et des usages du numérique et les autres. Que proposez-vous ?
L’un des maîtres mots du quinquennat en matière d’action publique tient à la proximité : nous avons réinvesti la question de la proximité. Le succès des maisons France services est une réponse concrète et opérationnelle que les élus locaux se sont pleinement appropriée. Il faudra aller plus loin dans les cinq années à venir. Au-delà, il faut développer d’autres modalités d’accès aux services publics, comme le téléphone : les citoyens doivent avoir la possibilité d’échanger avec un agent par téléphone lorsqu’ils ne sont pas en situation ou en capacité de mener une démarche numérique. D’autres réponses que le numérique doivent continuer à se déployer.

En 2017, vous portiez l’ambition de libérer l’administration et de davantage responsabiliser les managers. Mais le parapheur perdure… tout comme certaines habitudes. Comment l’expliquer ?
Lorsque la transformation touche aux organisations, aux pratiques managériales et à l’humain, alors cela prend nécessairement du temps. Changer des habitudes de faire ancrées dans le fonctionnement et la structure de l’administration ne peut s’opérer en quelques mois. Mais les choses ont fortement évolué depuis cinq ans, particulièrement l’orientation “résultats” dans le pilotage de l’action publique. Ainsi, le baromètre des résultats de l’action publique lancé par Amélie de Montchalin [la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, ndlr] donne une boussole sur l’évolution des réformes prioritaires du gouvernement. Vous pouvez suivre leur mise en œuvre jusqu’au niveau départemental : les classes de CP ont-elles été dédoublées dans tel département ? “Ma Prime Rénov’” a-t-elle été distribuée selon les objectifs prévus dans tel autre territoire ? Etc.

N’est-ce pas surtout une “opération communication” sur des mesures visibles ? 
Non, c’est une boussole permettant de voir concrètement la progression des réformes engagées avec une maille très fine sur les territoires. Bien sûr, il y a une priorisation au regard des urgences et du programme de 2017. Mais ce mode de pilotage est très nouveau, il a bouleversé les habitudes des managers publics. Cette culture du résultat et, de fait, de l’efficacité n’existait pas comme cela auparavant. 

Depuis trop longtemps dans l’administration, on a voulu transformer essentiellement par la norme. Nous remplaçons cette approche exclusivement juridique par une gestion appuyée sur la conduite de projet.

Le rapport au droit n’a pas vraiment changé dans l’administration. On l’a vu depuis le début de la crise : la question de la responsabilité se pose très régulièrement, bloquant la capacité d’agir des managers et agents. Comment faire ? 
Je partage votre constat : depuis trop longtemps dans l’administration, on a voulu transformer essentiellement par la norme. C’est-à-dire : je vote une loi, j’adopte un décret… Nous remplaçons cette approche exclusivement juridique par une gestion appuyée sur la conduite de projet. Nous avons identifié 50 mesures prioritaires et les chefs de projet en charge de les piloter viennent devant les autorités de l’État en rendre compte. C’est là encore une nouvelle manière de faire qui initie une évolution de la culture administrative. La réforme de l’ENA est aussi une illustration de ce changement d’approche. Il ne s’agit pas seulement d’un changement de nom, mais bien d’un changement complet de culture professionnelle. Les élèves commencent par exercer des responsabilités opérationnelles et conduire des projets plutôt que de produire des textes, juger, évaluer, auditer… Ils seront confrontés à la complexité de la mise en œuvre des réformes avant de participer à leur conception. C’est un bouleversement et l’amorce d’une transformation culturelle profonde au plus haut niveau de l’administration. On n’est pas sur l’écume des choses. 

De nombreux ministres, au cours des précédents quinquennats, se sont cassé les dents sur la réforme des grands corps. Pourquoi, cette fois-ci, votre réforme tiendrait-elle dans la durée ?
Parce qu’elle est dans les textes, à la différence de certaines réformes initiées puis abandonnées dans le passé ! Le gouvernement n’a pas reculé. La haute fonction publique est transformée avec la fin de l’accès direct aux grands corps et la création du nouveau corps des administrateurs de l’État. C’est une réalité concrète qui matérialise la volonté transformatrice du président de la République. 

N’est-on pas allé trop vite ? On voit notamment que cela coince du côté des préfets… 
Il faut revenir à l’origine de la réforme : créer une haute fonction publique beaucoup plus mobile et transversale permettant de passer d’un ministère à l’autre, d’une organisation publique à l’autre. Les cadres sont nombreux à regretter des carrières trop verticales, menées dans un seul champ ministériel sans avoir la possibilité d’aller dans d’autres administrations et vers un autre versant. Bien sûr, le changement n’est pas toujours facile ; il suppose quelques ajustements et devra être complété. Il requiert du temps pour être compris et suffisamment approprié par tous pour être assimilé. Je suis convaincu que dans le temps, on observera que cette réforme aura contribué à dépasser les silos et à favoriser les mobilités. 

Concernant les mobilités, justement, elles restent très limitées de la territoriale vers l’État et plus largement, du privé vers le public. Comment accélérer en la matière ? 
C’est un enjeu fondamental. Il faut plus de mobilité entre les 3 versants. Cela suppose une culture commune. C’est ce qu’apportera le tronc commun de l’Institut national du service public, regroupant des écoles de management public des 3 versants. Ce tronc commun permettra aux managers de mieux se connaître et d’appréhender les parcours possibles. Les coopérations seront favorisées entre État, collectivités, hôpitaux publics. Laissons la réforme se mettre en place en accompagnant sa mise en œuvre.

Le gouvernement est-il allé assez suffisamment loin dans cette réforme ?
Cette réforme a été percutée par une crise sanitaire sans précédent. Mais le gouvernement l’a conduite malgré tout à son terme. Bien sûr qu’il faudra aller plus loin au prochain quinquennat. Je parlais notamment de l’enjeu de la proximité : il est fondamental et il faudra continuer à y travailler. 

Le suivi de l’exécution des réformes est un acquis de ce quinquennat.

En matière de transformation publique et de modernisation de l’État, le quinquennat avait démarré d’une manière un peu curieuse, avec le rapport CAP22, confié à des experts et sorti en catimini au cœur de l’été 2018, sans communication… Quel regard portez-vous sur cet épisode quatre ans après ? 
Il était utile de confier ce rapport à des personnalités aux profils très différents, du public, du privé, dont certaines étaient marquées à gauche et d’autres à droite. L’objectif était d’ouvrir largement la réflexion. Ce rapport a apporté des contributions importantes, dont certaines ont été reprises, notamment sur la formation et sur l’organisation territoriale de l’État. Bien sûr, un rapport reste un rapport : il n’avait pas vocation a être entièrement transformé en actions concrètes. C’était un rapport présentant des scénarios possibles. Il n’avait pas été pensé comme une feuille de route. 

Vous avez été critiqué, au sein de l’administration, sur la manière de conduire la réforme “Action publique 2022”. Certains patrons d’administration et managers publics vous reprochaient une méthode très directive, voire infantilisante, avec notamment votre application de suivi des projets. Était-ce la bonne méthode ? N’aurait-il pas fallu laisser davantage de marges de manœuvre aux cadres dirigeants ?
Peut-être était-ce le prix à payer pour avancer rapidement ? Si l’on n’impose pas une manière de faire et un pilotage fort, alors cela avance-t-il suffisamment ? La seule ligne directrice d’Emmanuel Macron est de dire qu’il s’est engagé sur un programme et que ce programme doit être mis en œuvre. Si, pour cela, il faut une structure particulière qui suit les engagements et assume le pilotage, alors c’est ainsi. Je rappelle que ces structures existent ailleurs, je pense aux delivery units en Angleterre. Les promesses sont là pour être appliquées. On ne peut pas se plaindre que les politiques ne mettent pas en œuvre leurs promesses, puis critiquer quand ils s’y engagent fortement. Peut-être cette transformation a-t-elle suscité un peu de crispation en interne parce que c’était une manière différente de conduire la réforme de l’action publique. Mais le suivi de l’exécution des réformes est un acquis de ce quinquennat. Il perdurera, vous verrez. 

Après la RGPP, la MAP et CAP22, faudra-t-il un nouveau programme de transformation de l’action publique ? 
La transformation de l’action publique sera un enjeu clé du prochain quinquennat. Nous innoverons sûrement dans la méthode. Ce sera un élément important du programme à venir. 

Vous évoquiez les mobilités et les parcours au sein de la haute fonction publique. La loi de 2019 de transformation de la fonction publique a ouvert plus largement la fonction publique aux contractuels. Le statut n’est plus un élément aussi central qu’auparavant en matière de gestion des ressources humaines. Faut-il aller plus loin ? Faut-il supprimer le statut ? 
La loi de 2019 portée par Olivier Dussopt a amené de la souplesse dans les recrutements et dans les parcours au sein du secteur public. Elle a apporté également de la souplesse dans le dialogue social. La question centrale, c’est celle de l’attractivité de notre fonction publique. Il faut se poser la question des trajectoires professionnelles, des rémunérations, de la formation, des compétences. Nous devons garder une fonction publique de grande qualité, capable de continuer à attirer toutes les compétences. Au-delà, la question du sens est également importante et c’est un élément fort pour recruter. Mais elle ne doit pas dédouaner d’une réflexion sur les conditions de travail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, le management, l’autonomie dans le travail, la simplification des niveaux hiérarchiques…

Au-delà d’être titulaire ou d’être contractuel, la question est celle des compétences : il faut pouvoir nommer celle ou celui qui est la ou le mieux placé(e).

Mais n’y a-t-il pas un risque de confusion, alors que les contractuels étaient jusqu’alors censés être recrutés sur des besoins ponctuels ? Ne va-t-on pas vers une dualisation de la fonction publique, avec la coexistence de deux statuts juridiques distincts ?
Regardez ce qui a été fait sur ce quinquennat : des contractuels peuvent désormais accéder à des postes à responsabilités au plus haut niveau des administrations sans que cela soit conditionné à l’accès au préalable à des postes de sous-directeur ou de chef de service. Nous avons ouvert le jeu pour que des profils hors titulaires disposent des mêmes opportunités. Cette souplesse permise par la loi de 2019 est un autre acquis du quinquennat. Les managers et les agents ne parlent pas du statut. Ils pointent les pratiques managériales, les marges de manœuvre, le poids des normes et de la règle, les postures culturelles inadaptées… Ils nous parlent du sens, des conditions de travail, des rémunérations… Au-delà d’être titulaire ou d’être contractuel, la question est celle des compétences : il faut pouvoir nommer celle ou celui qui est la ou le mieux placé(e). Sur les postes du numérique, le contrat permet de recourir à des compétences dont le secteur public ne dispose pas. 

L’accompagnement au changement a-t-il été à la hauteur, ces cinq dernières années ? La transformation s’est accélérée, mais les dispositifs d’accompagnement et la formation tout au long du parcours professionnel n’ont pas toujours suivi. Quel est votre constat ?
L’encadrement intermédiaire est un rouage essentiel qu’il faut accompagner. Entre les grandes orientations stratégiques et les équipes opérationnelles, il porte concrètement le changement. Quand vous conduisez des programmes de transformation ambitieux, vous devez pouvoir vous appuyer sur un encadrement qui se reconnaît dans la trajectoire fixée et qui est accompagné par une filière RH. Ce management intermédiaire doit être une priorité en matière de fonction publique pour le prochain quinquennat. Il faut travailler sur la qualité de vie au travail et développer les dispositif RH individualisés initiés par la DGAFP. L’encadrement supérieur sera par ailleurs mieux organisé avec la création récente de la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, la Diese.

Vous êtes l’ancien délégué interministériel à la transformation publique. Pensez-vous qu’il faille accélérer en matière d’innovation au sein des administrations ? 
Il y a eu un gros effort, dans ce quinquennat, pour porter l’innovation publique. Le gouvernement a soutenu les administrations et les services publics dans leur transformation, notamment grâce au Fonds de transformation de l’action publique (FTAP), doté de 700 millions d’euros. Le recours à l’intelligence artificielle, à la data, le développement des laboratoires d’innovation publique ont été encouragés. Une deuxième dimension devra être accentuée lors du prochain quinquennat : l’innovation collaborative, innover avec les autres. Je pense notamment à la création par Olivia Grégoire [la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable, ndlr] des “contrats à impact”, qui permettent des partenariats dynamiques sur le champ social et environnemental entre les acteurs de l’économie sociale et solidaire, la puissance publique et des investisseurs. Ils portent de fortes potentialités pour l’avenir. 

Faudra-t-il revoir le Meccano institutionnel ? DGAFP, DITP et Dinum* ont été placées sous une seule autorité, celle de la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin. Faut-il revoir cette organisation, et peut-être rapprocher davantage ces structures ? 
L’organisation est toujours au service d’un projet ! Il ne faut jamais aborder une transformation par les sujets organisationnels : l’organisation doit s’adapter au projet, elle en est le bras armé.

Propos recueillis par Sylvain Henry et Pierre Laberrondo

* Direction générale de l’administration et de la fonction publique, direction interministérielle de la transformation publique et direction interministérielle du numérique de l’État.

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