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Sven-Volker Rehm : “Les plates-formes d’expérimentation urbaine font leurs preuves”

Pour fluidifier la circulation, un dialogue en continu entre les décideurs publics, les usagers et les partenaires économiques est indispensable. Sven-Volker Rehm, professeur à l’EM Strasbourg Business School, prône l’utilisation de plates-formes numériques favorisant l’implication de l’ensemble des parties prenantes dans des expérimentations locales. Une problématique impactante pour les années à venir et qui doit nourrir le débat public, estime-t-il.

La question des embouteillages est liée à des politiques publiques locales multiples : aménagement, mobilités, développement durable… Un enjeu structurant pour les années à venir. Quelle approche les élus et décideurs publics doivent-ils privilégier pour l’appréhender ?
Les décideurs publics sont mis sous pression. Ils doivent parvenir à diminuer rapidement les émissions de gaz à effet de serre et donc notamment l’usage de l’automobile traditionnelle, sans nuire à la qualité de vie des citoyens. Les nouvelles offres technologiques se sont multipliées ces dernières années pour avancer en ce sens, comme les trottinettes, les vélos, les scooters, ou les voitures électriques en libre-service. Mais la cohabitation des différentes formes de mobilité est tout sauf facile, avec des usages parfois déviants, provoquant l’incrédulité, voire l’exaspération. À Cologne, en Allemagne, des douzaines de scooters électriques ont ainsi fini dans le Rhin. Pour les décideurs publics, l’enjeu est de réussir à rendre les villes plus résilientes face au dérèglement climatique, dans un contexte de changement technologique accéléré. Mais pour cela, une plus grande implication des citoyens et des acteurs économiques locaux est devenue, selon nous, indispensable. 

Tout l’enjeu est de susciter et faire vivre le dialogue, grâce à des outils ergonomiques, qui permettent d’informer correctement les participants, de les faire s’exprimer sur différents scenarii, de leur donner des retours sur leurs propositions.

Mobiliser l’ensemble des parties prenantes est nécessaire, dites-vous. Mais leurs cultures sont souvent très différentes. Comment les faire travailler ensemble ? 
Des plates-formes d’expérimentation urbaine sont actuellement testées dans de nombreuses villes du monde. J’ai étudié notamment le projet OrganiCity, mené entre 2015 et 2018 dans plus de 40 métropoles principalement européennes, de Bruxelles à Londres, en passant par Lisbonne, Copenhague, Édimbourg… À chaque fois, il s’agissait d’utiliser les technologies numériques pour fournir des données aux citoyens et à l’ensemble des parties prenantes, leur permettant de s’impliquer ensuite dans les choix municipaux et de coconstruire de nouvelles solutions adaptées à leurs besoins. On ne peut plus se contenter de décisions verticales prises par des élus, influencés par les partis politiques et les lobbies, mais déconnectés des besoins et désirs de pans entiers de la population. Certaines mesures prises pour diminuer le trafic dans certaines zones aboutissent par exemple à une détérioration de la situation dans d’autres quartiers. La mise en place des vélos en libre-service sert de la même manière une partie limitée de la population, en l’occurrence la plus favorisée. Il est indispensable de recueillir et diffuser les données factuelles qui vont permettre aux citoyens de se faire une idée des résultats de ces politiques. Ainsi informés, il leur devient possible de participer activement aux débats publics. Tout l’enjeu, dans ce contexte, est de susciter et faire vivre le dialogue, grâce à des outils ergonomiques, qui permettent d’informer correctement les participants, de les faire s’exprimer sur différents scenarii, de leur donner des retours sur leurs propositions…

Quels types d’informations nouvelles peut-on fournir aux habitants et aux partenaires économiques locaux pour qu’ils participent ainsi aux changements ?
À Aarhus, au Danemark, par exemple, des capteurs bon marché repèrent en continu la pollution de l’air dans chaque rue de la ville et des cartes hyperprécises sont mises en ligne. Un tel outil aide les cyclistes dans leurs choix d’itinéraires. Il peut aussi motiver de nouveaux citoyens à utiliser leur vélo en sachant qu’ils pourront éviter de rouler dans des zones où l’air est mauvais. Il peut surtout alimenter le débat public, les habitants des quartiers pollués ayant des éléments factuels pour demander à ce que des actions soient entreprises pour limiter les pollutions dont ils souffrent. Un projet similaire est en cours à Londres. Il s’agit d’équiper une flotte de véhicules de livraison de petits capteurs de pollution pour obtenir des données suffisamment fines et régulières. À Bruxelles, une équipe travaille pour sa part à la mise à disposition de l’ensemble des habitants d’une carte des nuisances sonores, rue par rue, à chaque heure du jour et de la nuit. Ainsi informés, les habitants sont beaucoup moins passifs et s’impliquent davantage dans le changement. On peut imaginer aussi qu’à l’échelle d’un bassin d’emploi, les entreprises, informées de la temporalité précise des embouteillages, se coordonnent pour décaler légèrement leurs horaires, par exemple.

Le mouvement des ateliers d’expérimentation urbaine, né en Scandinavie, est actuellement en plein essor.

Le numérique est-il vraiment LA solution ?
Le progrès technologique est très rapide. Il est devenu banal pour les automobilistes de pouvoir anticiper les bouchons grâce à des informations affichées en continu, ou simplement grâce à leur GPS. De nouvelles solutions sont par ailleurs en préparation. Des chercheurs de chez Volkswagen mènent notamment une expérience à Pékin, avec des données sur la circulation, issues d’une flotte de 10 000 taxis, traitées par des ordinateurs quantiques. Leur objectif est de prévoir les embouteillages avant même qu’ils ne surviennent… pour éviter leur survenue ! Les applications qui permettent aux habitants des villes de planifier leurs trajets, en combinant différents moyens de transport, publics et privés, sont aussi très utiles, ainsi que celles qui facilitent le covoiturage. Il est clair, cependant, que le progrès technologique n’est pas une solution magique. La question de la propriété des outils numériques utilisés par les municipalités doit notamment être posée. Plutôt que d’utiliser des systèmes standards vendus par de grandes firmes multinationales, il est souhaitable de favoriser le développement de nouveaux outils produits par les écosystèmes économiques locaux, et possiblement dupliqués dans d’autres lieux, à différentes échelles.

Comment favoriser la culture de l’expérimentation que vous appelez de vos vœux ?
À côté des grands projets d’infrastructures, dont certains peuvent se révéler inadaptés voire nocifs pour une partie des citoyens, il s’agit de soutenir de nombreux projets à petite échelle, portés par les habitants et partenaires, en favorisant ensuite l’essaimage. Ces projets coconstruits sont adaptés précisément aux besoins de la population locale et peuvent ensuite facilement évoluer en fonction des nécessités, ce qui est indispensable. Le mouvement des ateliers d’expérimentation urbaine, né en Scandinavie, est actuellement en plein essor. On en compte plus de 400 dans le monde, regroupés en réseau. Ces ateliers permettent aux partenaires locaux – politiques, citoyens, scientifiques, entrepreneurs… – d’avancer ensemble vers des solutions innovantes pour améliorer la vie dans les villes. On ne peut qu’espérer que ce mouvement se développe en France.

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Club des acteurs publics

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