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Suppression de l’ENA : le coup politique de Macron

À un an de la présidentielle, le chef de l’État veut prouver qu’il a encore la capacité de réformer, en particulier l’État. L’occasion de livrer une réforme attendue d’abord et avant tout dans les rangs de la haute fonction publique.

Il l’a fait à un moment où plus personne n’y croyait. Avec un sens consommé de l’effet de surprise, Emmanuel Macron a annoncé, le 8 avril, la suppression de l’École nationale d’administration (ENA). Enlisé dans la gestion de la crise sanitaire, accusé depuis des mois par les commentateurs d’avoir échoué sur la réforme de l’État, l’ancien inspecteur des finances a décidé de frapper un grand coup en tenant la promesse qu’il avait faite en avril 2019, au sortir de la crise des “gilets jaunes” et restée jusqu’alors lettre morte.

Pendant deux ans, il a laissé dire, observé finement les manœuvres et les réactions autour de lui, soupesé les vrais enjeux RH, sur lesquels il s’était de toute façon déjà forgé une solide analyse depuis sa sortie de la promotion Léopold Sédar Senghor de l’ENA, dont il avait obtenu en justice, avec ses camarades, l’annulation du classement de sortie. Au final, la sentence est tombée en même temps que le diagnostic, cruel. “Est-ce que ce système est complètement mauvais ? Non. Il a continué à recruter des gens de très grande qualité, permettre d’avoir des destins, porter notre État et la décision publique. Est-ce qu’il est pour autant le meilleur ? Loin de là. Est-ce qu’il reste bon et adapté pour attirer les talents des générations montantes ? Je ne le crois plus.”

Il faut rester évidemment d’une prudence de sioux car au lendemain de l’annonce présidentielle, c’est une autre séquence qui commencera : celle de la mise en œuvre. Celle où les adversaires en interne vont se montrer les plus redoutables pour amoindrir par petites touches le projet : un alinéa modifié d’un article de l’ordonnance ou de la prochaine loi de finances, une virgule déplacée au détour de tel décret ou arrêté (c’est parfois très important, une virgule). La force de la réforme dépendra de tous ces petits riens. On ne pourra porter un jugement précis qu’à l’issue.

Il a enterré un symbole français critiqué – depuis plus de quarante ans – d’abord par ceux auxquels il avait permis de réussir.

Reste que pour le Président, l’essentiel est acquis. Il a enterré un symbole français critiqué – depuis plus de quarante ans* – d’abord par ceux auxquels il avait permis de réussir. On ne pourra plus dire que la crise sanitaire l’empêche de mener des réformes d’ampleur. Et tant pis pour les énarques dont certains auront le sentiment qu’ils servent de boucs émissaires ou rappelleront qu’ils ne sont que très peu présents dans le monde administratif de la santé, cloué au pilori depuis des mois. Ce 8 avril, le Président a initié une réforme RH d’ampleur très attendue y compris et avant tout dans les soutes de la haute fonction publique – on le dit peu. Mais il a aussi fait, soyons juste, de la politique.

La sortie du Président intervient quelques jours à peine après le retour médiatique de son ex-Premier ministre, Édouard Philippe, qui a laissé dire, à force de sous-entendus, que le Président l’avait congédié l’été dernier parce qu’il était plus populaire que lui. Le chef de l’État vient de lui rappeler qu’il pouvait mener sans lui des réformes qu’il ne pouvait pas conduire avec lui. Car il faut se souvenir combien Édouard Philippe et son équipe ont fait barrage aux tentatives de réforme de l’ENA et des grands corps. Le tiède communiqué publié en février 2020 par ses services à l’issue de la remise du rapport Thiriez et annonçant les décisions prises paraît bien loin. Un premier palier a, depuis, été franchi en mars avec la mise en place des concours “talents” pour les jeunes issus de milieux modestes.

À un an de la présidentielle, le chef de l’État comble un vide dans son bilan : on ne pourra pas dire qu’il a préservé les siens des réformes. Un argument de moins que Marine Le Pen pourrait lui opposer lors d’un hypothétique débat de second tour. Lentement mais sûrement, il se prépare à l’affronter. Elle et les autres.

* Notamment depuis la publication de L’Énarchie, ou les mandarins de la société bourgeoise, de Jean-Pierre Chevènement (sous le pseudonyme de Jacques Mandrin).

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