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Sondage exclusif : l’hôpital, chantier numéro un de la transformation publique

Concernant la méthode pour réformer lors du prochain quinquennat, les personnes interrogées par l’Ifop dans ce sondage Acteurs publics/EY privilégient la consultation et les référendums citoyens. Pour accélérer l’exécution des réformes, les Français souhaitent donner plus de marges de manœuvre aux agents de terrain. 

À quelques semaines de l’élection présidentielle, l’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques, réalisée par l’Ifop, montre que l’hôpital public est le chantier de transformation numéro un attendu par les Français. [Lire la tribune de Guéric Jacquet, associé EY-Parthenon en charge des administrations centrales]

Plus globalement, cette étude fait ressortir plusieurs souhaits des Français sur l’action publique : mettre la confiance au cœur du fonctionnement – aussi bien pour les agents que pour les citoyens –, une envie de simplification des démarches et une envie importante de participation directe pour décider des grandes orientations de l’État.

Accès aux services publics

En interrogeant les Français sur ce qui, pour eux, ressemblerait à un quinquennat réussi en matière de transformation publique, la question du renouveau de l’hôpital public arrive largement en tête (citée par 58 % des Français). C’est une conséquence de la crise sanitaire et des difficultés qui sont apparues au grand jour. Arrive ensuite la présence des services publics dans un périmètre de 30 kilomètres (25 %), puis la réalisation d’économies budgétaires sur les domaines non régaliens (20 %). Apparaît donc une envie de concentrer les dépenses sur certains services publics, la santé en tête, pour les mettre à disposition des citoyens.

En ce qui concerne les moyens pour élaborer les grandes réformes du quinquennat, une forte volonté de démocratie et de participation des électeurs ressort de cette enquête. En effet, 40 % des personnes interrogées désirent que les Français soient consultés sur le contenu des grandes réformes, 35 % sont favorables à l’installation d’un référendum citoyen sur les sujets administratifs locaux et nationaux. De fortes disparités apparaissent en fonction de la proximité politique des personnes interrogées : si 52 % des proches de La France insoumise et 51 % des proches du Rassemblement national désirent des consultations sur le contenu des grandes réformes, seuls 30 % des proches de La République en marche et 34 % de ceux des Républicains l’expriment.

Chantier de la simplification

Pour ce qui est des principales mesures de simplification administrative à lancer, les Français évoquent d’abord le fait de ne plus demander plusieurs fois les mêmes informations (57 %), la création d’un numéro unique pour tous (37 %), la numérisation des procédures (34 %) ou bien encore la suppression de demandes de justificatifs (en contrepartie d’une hausse des contrôles), à 28 %.

Il ressort donc, chez les personnes interrogées, une demande de confiance de la part de l’administration envers les administrés, avec l’acceptation en contrepartie de subir une surveillance plus massive.

Afin de mettre en œuvre une accélération dans l’exécution des réformes, les Français perçoivent plusieurs leviers d’action. Parmi ceux-ci, ils mettent d’abord en avant “une plus grande marge de manœuvre et de capacité d’initiative aux agents de terrain” (31 %), devant “une évaluation des politiques publiques pour saisir les réussites et échecs” (27 %), ou bien encore de “donner plus d’autonomie dans le recrutement et la gestion quotidienne” pour les chefs d’établissement scolaire et aux responsables locaux (26 %).

Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop

L’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop a été menée par questionnaire auto-administré en ligne les 9 et 10 février 2022 auprès d’un échantillon de 1 007 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille) après stratification par région et catégorie d’agglomération.

Voir l'émission de l'Observatoire des politiques publiques avec Christian Babusiaux, président du Cercle de la réforme de l’État, et Guéric Jacquet, associé EY Parthenon :

 

ANALYSE

Une nouvelle méthode pour régénérer l’action publique

Par Guéric Jacquet, associé EY-Parthenon en charge des administrations centrales

Dans quelques semaines, le nouveau gouvernement aura pour mission d’engager une nouvelle politique de transformation de l’action publique. Traditionnellement, l’exécutif s’appuie, après les élections législatives, sur 3 grands éléments : une vision politique déclinant une ambition liée au programme présidentiel ; un comité d’experts ou de corps d’inspections instruisant une plate-forme technique de réformes (Révision générale des politiques publiques, Modernisation de l’action publique ou CAP 2022) ; et la scénarisation de la dynamique de transformation auprès des agents publics (réunion des préfets, recteurs et directeurs d’administration centrale en 2007 ou annonce d’un spoils system en 2017). Ce scénario n’est pourtant pas probable pour 2 raisons.

D’abord, la réforme de l’État présente un bilan déjà fourni avec une somme de réformes ininterrompues depuis quinze ans, accélérées par la transformation publique. Cela est d’autant plus marquant que les administrations ont réussi à conduire une dynamique dans une période marquée par la crise sanitaire, notamment sur le volet de la numérisation des services ou la réforme de la haute fonction publique. Il en va de même de la mise en œuvre de la circulaire du Premier ministre Édouard Philippe du 5 juin 2019, à la fois dans les administrations centrales (fonctionnement en mode projet, évolution du rôle des cabinets ministériels, mouvement de déconcentration des décisions) et dans les administrations déconcentrées de l’État (création des secrétariats généraux communs dans les préfectures, création du service public de l’insertion, rapprochement des rectorats et des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale…). Cela démontre que l’État sait à la fois poursuivre sa transformation, l’adaptation des politiques publiques tout en faisant face.

En parallèle, la réforme doit impérativement se poursuivre car les attentes des citoyens-usagers demeurent très fortes pour un service public efficace et de proximité. Jamais les Français n’ont été aussi confiants dans l’amélioration de leurs services publics, à plus de 52 % selon le baromètre Delouvrier de 2021. Pour autant, les demandes de proximité et de simplicité des usagers restent élevées. Enfin, la dette publique n’a jamais été aussi importante, culminant à 116 % du PIB en 2021. Paradoxalement, toute pause en matière de transformation publique ne peut dès lors être une option. Cela alors même que le poids de la dépense publique et de la dette modifie les marges de manœuvre.

Alors, quelle méthode de transformation publique adopter pour tenir compte de cet environnement afin que, dans cette nouvelle étape qui s’ouvre, elle soit légitime et efficace ? Celle-ci pourrait s’appuyer sur 5 piliers.

La responsabilisation des décideurs publics à l’échelle des ministères devrait pouvoir s’étendre à des programmes ambitieux de performance durable. Si l’impulsion et le pilotage interministériel des réformes s’inscrivent forcément au plus haut niveau de l’État, la capacité piloter finement les transformations se joue à l’échelle du ministre et de son “comex”. Construire dès les premiers mois un programme de transformation ministériel, à la fois en termes de performance, de digitalisation et de développement durable, permettant à tous les ministères d’avoir une feuille de route claire dès l’automne 2022 apporterait de la visibilité et de la responsabilité aux acteurs publics.

Le pilotage des programmes de transformation pourrait impliquer non seulement les administrations d’État, mais aussi les administrations de sécurité sociale et les opérateurs. La conduite des projets interministériels est globalement effective au sein du ministère de la Transformation publique, en faisant travailler ensemble les spécialistes de la transformation (DITP), du numérique (Dinum), de la fonction publique (DGAFP) ainsi que les équipes en charge de la haute fonction publique (Diese). En revanche, les périmètres de transformation hors État, notamment les autres fonctions publiques, ne sont pas pilotés au même endroit (administrations de sécurité sociale, secteur hospitalier), voire sont gérés de manière atomisée entre les ministères (établissements publics). Plusieurs mécanismes existent, allant de la simple coordination technique entre les acteurs pour accélérer les décisions à une forte intégration, en passant par la nomination de hauts commissaires en charge d’un sujet transversal, par exemple la transformation des opérateurs. Cela a en effet été le cas avec succès ces dernières années pour incarner des dispositifs tels que l’investissement public ou la lutte contre la pauvreté.

Un dispositif d’évaluation ex ante des politiques publiques partagé entre le Parlement et la Cour des comptes pourrait être un point de départ du quinquennat. S’il est possible, dans un quinquennat, d’engager 2 à 3 grandes réformes structurelles de politique publique par an, il est nécessaire de créer en amont les conditions des réformes. Créer un consensus sur le diagnostic et sur des principes directeurs des réformes de politiques publiques (ambition, coût, efficacité, bénéficiaires…) nécessite des travaux de fond techniques, via les organismes de contrôle (Cour des comptes et inspections) et un dialogue politique, discuté au Parlement, en amont des processus législatifs avant décembre 2022. Un agenda partagé, démarré dès le début de la législature, sur une dizaine de grandes politiques publiques serait un atout.

Le recours à de grandes consultations citoyennes pourrait se poursuivre et notamment permettre de faire émerger des pistes très concrètes de simplification administrative. Le recours à des dispositifs participatifs s’est fortement développé ces dernières années pour associer les citoyens (grand débat national, consultations par territoires ou politiques publiques, comme les Assises de l’outre-mer) et a changé durablement la manière de piloter une transformation. Ces consultations se poursuivront probablement sur les grandes thématiques de réforme du prochain quinquennat. Elles pourraient ­notamment être sollicitées massivement pour adresser un objet très difficile à manier tel que la simplification administrative. Réussir à collecter des retours précis, concrets et actionnables auprès d’un nombre significatif d’usagers concrets de services publics (détenteur d’un permis de construire, entreprise demandeuse d’aide publique, bénéficiaire d’une allocation, professionnel de justice dans une procédure…) créerait un rapport de force pour faire bouger les lignes sur ces questions techniques et engager un choc de simplification.

Le conditionnement des investissements à de réels engagements de transformation pourrait être un marqueur fort du quinquennat. Ce “donnant-donnant” des réformes était en gestation à la naissance du Fonds de transformation de l’action publique (FTAP), qui conditionnait des investissements publics à un retour sur investissement. S’il n’est pas toujours possible à la maille d’un projet, il doit pouvoir l’être à l’échelle d’une organisation publique, ministère ou catégorie d’acteurs publics, via une démarche contractuelle pluriannuelle. Cela est d’autant plus sensible que plusieurs grands chantiers de transformation attendent le futur gouvernement et nécessiteront des investissements élevés (hôpital, justice, éducation…), mais leur impact dépendra autant du montant des crédits que des engagements communs de transformation réelle. La garantie, par exemple, de bénéficier de budgets additionnels voire d’intéressement via la rémunération des agents en cas de dépassement des objectifs pourrait être un moyen nouveau d’incitation. Dans ce contexte, le futur programme de digitalisation des services publics aurait fortement intérêt à être couplé à un réel dispositif de réingénierie de processus pour que la numérisation génère des gains réels de productivité et de simplification. 

Associer largement citoyens, entreprises et agents à la simplification : l’exemple danois
Le Danemark a fortement investi depuis les années 2000 pour simplifier ses processus et son organisation administrative en mettant en place des dispositifs continus de simplification. Vis-à-vis des entreprises, la Danish Business Authority expérimente des dispositifs participatifs avec celles-ci pour alléger les réglementations et assure la transparence du suivi (www.enklereregler.dk). Un programme de “débureaucratisation” a été également lancé au niveau ministériel, afin de permettre aux employés publics de proposer des mesures de simplification et de rationalisation des procédures au sein de chaque bureau.

Les nouveaux outils de transformation publique : les acquis de la DITP
Longtemps, les boîtes à outils de transformation publique proposées aux administrations étaient assez classiques : gestion de projet, formation, coaching. Elles se sont profondément renouvelées ces dernières années, proposant à la fois des lieux de facilitation (lieu de la transformation publique, labs locaux), des dispositifs complets, par exemple Services publics + dans le cadre de l’expérience usagers, des outils multiples d’innovation collaborative (consultation en ligne ou ateliers citoyens, animés par le centre interministériel de participation citoyenne), des compétences sur des sujets expérimentaux en sciences sociales (nudge, design de politiques publiques), ou des financements significatifs via le Fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP). Déjà connu des spécialistes, l’usage de cette nouvelle gamme a vocation à se généraliser progressivement et à donner un nouveau souffle aux pratiques de transformation des décideurs publics et de leurs équipes (“Boîte à outils” de la direction interministérielle de la transformation publique, la DITP, sur modernisation.gouv.fr).

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Club des acteurs publics

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