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Sigrid Berger : “Il est possible de faire autrement en matière de pratiques RH dans la fonction publique”

Ancienne administratrice territoriale aujourd’hui à la tête de Profil public, Sigrid Berger analyse le besoin d’évolution en matière de recrutements, de fidélisation et plus largement de pratiques de ressources humaines dans le secteur public. Profil public publie un tour du monde des innovations RH.

Que nous apprend votre “tour du monde des innovations RH” sur les atouts et les faiblesses de notre modèle de gestion RH dans le secteur public ?
En premier lieu, cette étude nous montre que l’attractivité de la fonction publique n’est pas qu’un problème franco-français et est un défi à l’échelle internationale. Si les difficultés de recrutement ne se posent pas de la même manière dans tous les territoires, la pyramide des âges est défavorable dans de nombreux pays de l’OCDE. Elle démontre également qu’il est possible de faire autrement en matière de pratiques RH dans la fonction publique. L’ensemble des projets internationaux présentés nous prouvent que l’expérimentation, le droit à l’erreur et la question des marges de manœuvre restent essentiels pour transformer les pratiques et répondre aux nouvelles attentes des candidats. Les infrastructures numériques et les expertises internes sont également des facteurs clés pour être en mesure d’innover. En France, notre modèle de gestion RH doit évoluer pour recruter de manière proactive de nouveaux profils et fluidifier les mobilités. Enfin, la question du financement des projets RH innovants et la nécessité conjointe de faire du lobbying afin d’obtenir un budget reste une difficulté internationale qui n’est pas propre à notre modèle français. 

Il est possible de recruter des agents tout aussi bons via d’autres méthodes.

Il ressort de votre rapport que d’autres voies d’accès à la fonction publique sont possibles et même souhaitables, au-delà du concours. Quelles sont ces voies et comment les mettre en place ? 
En effet, en l’espace de vingt ans, le nombre de candidats aux concours de la fonction publique a été divisé par trois : de 650 000 en 1997 à 228 000 en 2018 pour les concours de la fonction publique d’État. Alors qu’initialement pensés pour favoriser l’égalité d’accès à la fonction publique, le contenu et le format des épreuves peuvent être discriminants. Par ailleurs, les concours sont utiles pour recruter des profils généralistes, mais ils parlent de moins en moins aux jeunes et ne conviennent pas aux profils plus spécialisés ou aux professionnels qui ont acquis une expertise de terrain. Il est nécessaire d’adapter ce mode de recrutement aux nouvelles attentes des candidats et d’évoluer vers des procédures de recrutement plus rapides et plus fluides. La Cour des comptes européenne réfléchit d’ailleurs à cette problématique. Comme Annemie Turtelboom – membre rapporteure pour l’audit EPSO, sur le sujet des concours dans la fonction publique européenne – le souligne, “le manque de diversité est dommageable pour l’image de la fonction publique. Bien que la qualité des lauréats de concours soit élevée, il est possible de recruter des agents tout aussi bons via d’autres méthodes”. 
L’Australie a imaginé des “graduate programs” pour recruter des jeunes diplômés tout en leur proposant un parcours professionnel pour découvrir différentes facettes du secteur public, une bonne façon d’allier recrutement, formation et connaissance de l’écosystème public. En France, la direction interministérielle du numérique (Dinum) a recours à des processus de recrutement plus ludiques sous forme de “défis” en proposant aux candidats de résoudre une problématique sociétale. À l’évidence, l’attractivité de la fonction publique repose en France sur une nouvelle façon d’attirer les candidats.

Les enjeux de formation peuvent également être challengés. Vous abordez l’intelligence artificielle (IA) avec l’exemple coréen et celui de la blockchain avec la Grèce. Quelles sont les pistes d’amélioration pour la formation et le recrutement ? 
Le secteur public coréen fait un constat similaire au nôtre : parce qu’ils sont trop peu informés des opportunités offertes par le secteur public, peu de candidats s’y engagent. Ce sont des talents perdus par manque de visibilité et de communication RH. De ce constat est née la plate-forme coréenne d’emploi public “Work-Net”, d’une part pour mieux faire connaître aux candidats les opportunités d’emploi dans le secteur public, d’autre part pour faciliter, grâce à l’intelligence artificielle, le matching entre les compétences des candidats et les missions proposées. Leur prochain défi consiste à utiliser l’IA pour faire des recommandations de formations adaptées aux besoins des collaborateurs. Le service public grec exploite également la blockchain, les techniques algorithmiques et l’intelligence artificielle pour simplifier, améliorer et sécuriser l’ensemble de ses procédures RH. Ces projets peuvent donner des pistes d’amélioration pour nos enjeux français de formation et de recrutement : pour réinventer les codes du recrutement et de la formation, le numérique tient une place centrale.

Les crises et le contexte changeant que nous vivons montrent l’importance d’assouplir les procédures.

Votre rapport met également en lumière les enjeux de mobilité, d’échanges, de décloisonnement… Faut-il favoriser une approche plus personnalisée des trajectoires professionnelles et dépasser une approche “gestion statutaire, administrative, de masse” ? Est-ce réellement possible dans une fonction publique de quelque 5,7 millions d’agents ?
Oui, c’est possible si l’on se donne cela comme priorité ! Au Canada, par exemple, le programme Impact Canada vise à recruter de nouveaux talents externes à la fonction publique pour perfectionner les expertises du gouvernement. En Belgique, le réseau de mobilité Talent Exchange permet de capitaliser sur le talent des agents publics en leur permettant de réaliser un détachement pour aider une autre organisation publique à impulser une dynamique de changement. L’agent peut ainsi diversifier son parcours et les administrations ont la possibilité de bénéficier de nouvelles compétences pendant cette période donnée. Enfin, en Estonie, le programme d’accélération Accelerate Estonia permet d’expérimenter des solutions innovantes du privé qui nécessitent l’appui du secteur public pour relever de grands défis sociétaux. 
Ces expériences novatrices font le pari de la prise de risque et s’appuient davantage sur les coopérations avec le secteur privé. Les crises et le contexte changeant que nous vivons montrent l’importance d’assouplir les procédures pour recruter rapidement et temporairement des compétences spécifiques. Grâce au numérique, nos institutions peuvent être de plus en plus connectées les unes aux autres et davantage ouvertes aux coopérations. C’est une véritable opportunité pour accroître les mobilités internes et promouvoir de nouveaux systèmes d’échange, mieux adaptés aux défis RH à venir.

Vous évoquez également l’enjeu du travail collaboratif. Quelles sont les pistes intéressantes pour notre secteur public ? 
Les candidats témoignent d’une forte adhésion aux valeurs liées aux évolutions du monde du travail : agilité, créativité, culture numérique, travail en mode projet, goût pour l’innovation, transparence… À l’évidence, l’attractivité des institutions repose également sur une nouvelle façon de travailler, plus collaborative mais également plus proche des usagers. Le secteur public finlandais a créé le “Work 2.0 Lab”, un espace collaboratif à mi-chemin entre un laboratoire d’innovation publique et un espace de coworking pour diffuser une nouvelle culture de travail au sein du secteur public. L’objectif est de pouvoir y mener des projets collaboratifs entre administrations. En France, de plus en plus d’employeurs agissent déjà au quotidien pour expérimenter de nouvelles pratiques, mais elles font face à un nouveau défi : le faire savoir !

Plus largement, quels éléments retenir de ce tour du monde pour rendre notre fonction publique plus attractive ? 
Les confinements dans de nombreux pays ont accéléré les changements dans la façon dont les collaborateurs du service public travaillent. La suite de la crise peut être l’occasion de renforcer l’image de la fonction publique, en mettant l’accent sur l’agilité, les coopérations et l’innovation. Mais pour cela, nos administrations doivent immanquablement poursuivre leurs démarches de transformation, expérimenter de nouvelles méthodes de travail et miser sur les opportunités offertes par le numérique. C’est vraiment le message que l’on veut faire passer à travers cette étude : développer sa marque employeur va bien au-delà d’un simple enjeu d’image, c’est également une question de transformation et d’évolution des pratiques RH. Et pour se réinventer, les compétences que l’on recrute sont un élément clé. 

Propos recueillis par Sylvain Henry

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