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Sarah Proust : “Un espace doit permettre une manière de travailler liée au projet d’une équipe”

Auteure de l’ouvrage Télétravail, la fin du bureau ?* édité par la Fondation Jean-Jaurès, Sarah Proust analyse la nouvelle organisation des lieux et pratiques de travail à l’aune de la crise sanitaire et de ses impacts. Morceau choisi.

“La prise en compte de la période anté-Covid-19, l’observation de nos pratiques depuis mars 2020, l’étude que nous avons commandée sur le bureau et les entretiens menés dans le cadre de cet ouvrage nous encouragent à dessiner trois trajectoires cumulatives. Un espace ne remplit pas sa fonction s’il n’est pas aligné sur la stratégie de l’organisation, s’il ne permet pas aux pratiques managériales dédiées de s’y déployer. La sentence est un peu facile à poser ainsi, alors que toute l’histoire du bureau a consisté à faire l’inverse : le travail s’est adapté aux lieux, les lieux du travail ont été façonnés par les tendances économiques et les salariés ont pris les bureaux vacants le jour de leur arrivée. Il serait incongru d’encourager les organisations à déménager dans le seul but de mettre en pratique cet énoncé théorique. Quoique… Pour celles qui en ont le projet, l’idée peut alimenter les réflexions. Pour les autres, l’espace actuel peut être soumis à diverses réorganisations.

Le bureau ne peut être la somme de mètres carrés organisés de manière aléatoire, en fonction des arrivées et des départs successifs.

Les lieux communs, au sein du lieu de travail, peuvent illustrer l’identité et la culture de l’organisation par des représentations symboliques. Les équipes, les départements, les unités peuvent et doivent mettre en cohérence leurs objectifs ou leurs missions avec les pratiques managériales dédiées spécifiquement à leur mise en oeuvre et agencer les espaces pour le faire. En effet, un espace doit permettre une manière de travailler, qui elle-même est liée au projet d’une équipe, voire de l’entreprise ou de l’administration. Des fonctions et des métiers requièrent plus ou moins de travail en équipe, des proximités fonctionnelles entre services peuvent être facilitées ou entravées par une mauvaise structuration de l’espace, des pratiques managériales peuvent être rendues impossibles si un espace les contraint. Le bureau ne peut donc être la somme de mètres carrés organisés de manière aléatoire, en fonction des arrivées et des départs successifs de salariés ou, pire, en fonction de la taille des meubles. Il doit être le résultat d’une structuration pensée à l’aune de l’objet de l’organisation, des métiers qui y sont exercés, des pratiques managériales qui y sont développées. Le bouleversement né de la pandémie et de ses conséquences sur le travail de bureau peut être l’occasion pour les organisations de repenser de fond en comble leurs espaces.

Un cadre d’une grande entreprise française, missionné pour réfléchir sur les conséquences pratiques et symboliques de la généralisation du télétravail, formule ainsi ses réflexions : Traditionnellement, la relation entre travail et lieu de travail était celle d’une unité de temps, de lieu et d’action. Notre enjeu aujourd’hui est de maintenir les collectifs de travail et ces formes d’unités, alors que les lieux sont plus nombreux et pour certains devenus virtuels. Il me semble tout à fait possible de garder une culture commune dans ces conditions, si la valeur symbolique des lieux est pensée.

Profitons de ce retour au bureau pour prendre le temps de cette réflexion.

Il complète en évoquant Le Système des objets du philosophe Jean Baudrillard - Le Système des objets, Gallimard, Paris, 1968 -, « qui décrit, il me semble, ce qu’il risque d’advenir sans la régulation et la vision managériale que vous recommandez : un lieu de travail qui n’est plus qu’un système d’objets, pure représentation abstraite mais vidé de son utilité concrète d’outil de travail en commun pour un collectif ». À cette évocation, nous revoyons, en effet, des images de lieux hangars, les cubicules dans lesquels Jacques Tati fait se perdre Monsieur Hulot, des lieux qui n’évoquent rien ; les réflexions de cette nature menées dans les organisations les préservent de ces écueils.

* Télétravail, la fin du bureau ?, Sarah Proust, édité par Fondation Jean-Jaurès/L’Aube, 88 pages, 8,90 euros.

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