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Saphia Larabi : “Appuyer demain la transformation écologique sur l’association nature-santé-engagement”

La cofondatrice de l’Observatoire Spinoza détaille les leviers que devraient associer les décideurs publics dans les années à venir pour porter la transformation écologique. Saphia Larabi a piloté l’étude “Nature, santé et engagement” de la Fabrique Spinoza. 

En quoi les problématiques “nature”, “santé” et “engagement” sont-elles des leviers d’une nouvelle approche de la transformation écologique ? Comment les décideurs publics peuvent-ils s’en emparer dans la prochaine mandature ? Notre conviction, à la Fabrique Spinoza, est qu’il est nécessaire d’associer aux enjeux écologiques du désir : réveiller le “j’ai envie” parmi la somme de “il faut”. Il s’agit de donner à voir un récit écologique certes durable mais surtout désirable afin d’enclencher un engagement sincère et profond et ce désir repose, notamment, sur la connaissance des bienfaits de la nature pour la santé et la fréquentation de la nature, notre reconnexion au vivant dans nos différents espaces de vie quotidiens. Notre étude “Nature, Santé et Engagement, vers une nouvelle approche de la transformation écologique” propose une nouvelle éthique environnementale fondée sur l’amour de la nature.

En effet, le discours actuel autour de l’écologie peine à générer un engagement suffisant et 47 % des Français trouvent le discours politique et médiatique actuel décourageant plutôt qu’incitant à l’action. À tel point qu’apparaît une angoisse nouvelle, une dépression verte appelée “éco-anxiété”, qui nous pousse à trouver refuge dans notre cerveau reptilien (régi par la colère, la fuite et la paralysie) et cultive l’impuissance apprise (où, quand bien même l’individu a les solutions à portée de main, il est incapable de s’en saisir). Aussi, au discours alarmiste (centré sur l’alerte, l’injonction, la culpabilisation ou le sacrifice), il est nécessaire d’associer un discours plus émotionnel qui parle à nos sens, nos motivations profondes, notre faculté à s’émerveiller, notre identité… nos émotions. Car comme dit l’adage, ce qui m’émeut me meut. On sait désormais que les gens ayant vécu une expérience de nature forte sont plus enclins à agir pour la nature. Les Français engagés sont beaucoup plus nombreux à entretenir un lien fort et intime à la nature (84 %) que les non-engagés (60 %). Aussi notre étude, réalisée avec le soutien de Nantes Métropole, ARP Astrance, Veolia, l’Office français de la biodiversité, Nestlé Céréales et Bouygues Immobilier, offre-t-elle un plaidoyer pour un grand récit d’écologie, positif et vertueux, reposant sur les bienfaits de la nature, notamment sur la santé, et invitant à glisser de l’émerveillement à l’engagement pour le fondement d’une nouvelle approche de la transformation écologique.

L’une des propositions qui nous tient à cœur est de recruter des biomiméticiens, des écologues et des conseillers à la biodiversité.

Quelles clés doivent-ils activer en priorité ?  D’abord, recruter pour des solutions pro-environnementales. L’une des propositions qui nous tient à cœur est de recruter des biomiméticiens, des écologues et des conseillers à la biodiversité dans les différents projets. En effet, nous sommes persuadés que la transition écologique sera possible parce que l’être humain aura élargi sa palette de solutions pour inclure davantage de nature based solutions, des solutions pro-environnementales s’inspirant du vivant. Il s’agit donc de recruter de tels professionnels dans le privé comme dans le public, afin de recourir à des solutions biomimétiques, bio-inspirées ou écoconçues. Les villes, notamment doivent s’engager pour protéger la nature en ville, préserver la biodiversité et réduire les émissions de carbone. Le biomimétisme offre des solutions pour construire des villes durables. Certains se sont saisis de briques de champignons, de béton auto-cicatrisant, de toitures en fractale… L’école primaire publique des sciences et de la biodiversité, à Boulogne-Billancourt, est inspirante.

Nous croyons également à l’institution d’un “Dano”, un droit à la nature opposable, fondé sur le modèle du Dalo, le droit au logement opposable. Il s’agit d’ériger le droit à la nature en droit fondamental, en ce que l’accès à un environnement décent, où la nature est accessible à tous, quels que soient leurs moyens, conditionne les principes constitutionnels de dignité et de santé humaine. Cela répond à des enjeux écologiques, de santé publique, de qualité de vie et d’urbanisme. L’opérationnalisation de ce droit pourrait passer par un nombre d’arbres par habitant et par ville, par exemple, à l’image des quotas de logements sociaux. 

Le contexte de sortie de crise est le moment pour agir.

Tout d’abord, la nouvelle édition du rapport du Giec [le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr], en cours de publication, entérine le diagnostic de la version V de 2014 et réaffirme la nécessité d’agir. Il n’y a plus de “moment” pour agir, c’est maintenant. Ensuite, 22,6 % des Français étaient en situation de dépression en novembre 2020, d’après Santé publique France. Des clés pour aplanir la vague de santé mentale sont donc à identifier. Or justement, les confinements ont montré le besoin d’espace et de nature des Français. Une pétition de 2021 appelait à supprimer la restriction de déplacement d’1 kilomètre afin de leur permettre de se ressourcer dans la nature. Elle avait été signée par près de 200 000 personnes. Or justement, la nouvelle approche de transformation écologique prônée par la Fabrique Spinoza s’appuie sur une reconnexion à la nature. Elle remplit donc le double objectif : celui d’œuvrer à la santé – y compris mentale – des citoyens, et par-là même les réengager pour agir.

Cette prise de conscience environnementale gagne en largeur, et les États intensifient leurs actions. Les États-Unis et la Turquie rejoignent et ratifient l’accord de Paris ou, plus insolite, le Pakistan embauche des demandeurs d’emploi pour planter 10 milliards d’arbres en cinq ans. Dans un contexte de sortie de crise sanitaire, les actions à mener sont à placer sous une égide positive. Afin de ne pas renforcer l’éco-anxiété, et péjorer la santé mentale des Français, une invitation à l’action écologique qui s’appuie sur la réappropriation des bienfaits de la nature est bienvenue. En effet, la nature est à la fois le problème – il faut la préserver – et la solution – elle nous fait du bien et nous donne envie d’agir pour elle.

Pour terminer, parmi les solutions apportées par la nature elle-même, une expérience particulière se détache, il s’agit de l’awe ou fascination, admiration, émerveillement (en anglais). C’est un sentiment ressenti devant une nature qui nous subjugue, un glacier ou une forêt enveloppante, par exemple. Or la recherche montre que ce vécu bouscule notre représentation du monde, nous fait nous sentir plus petits, diminue la préoccupation de soi et favorise les comportements prosociaux et pro-environnementaux. En conséquence, oui, c’est le moment d’agir, et tout particulièrement de créer des occasions pour les citoyens de vivre ce type d’expériences (bains de forêt, etc.) afin de renforcer leur engagement. Un nouveau chemin existe bien, et il est pertinent dans le contexte actuel.

Le sondage réalisé par l’institut Think pour la Fabrique Spinoza constate d’une part que 41 % des Français déclarent avoir oublié ce que c’est que de vivre une expérience de nature (profonde et intense) et d’autre part, que les Français engagés sont beaucoup plus nombreux à entretenir un lien fort et intime à la nature (84 %) que les non-engagés (60 %). Autrement dit, fréquenter la nature, la côtoyer, c’est déjà apprendre à la connaître, à l’aimer et s’engager à la protéger. Cela fait dire à Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza : “Aimer la nature est le premier acte écologique”. Ainsi, un engagement citoyen peut tout aussi bien être de se réapproprier les bienfaits de la nature, s’en rapprocher, vivre l’awe, se bâtir une identité écologique positive, s’émerveiller des solutions inspirées par la nature… Chacun peut trouver une action à la mesure de ses envies. Par ailleurs, chaque action individuelle compte. Ne sous-estimons pas la force du colibri. Selon l’ONG Carbone 4, l’impact des actions individuelles pro-environnementales permettrait d’atteindre 10 à 20 % des objectifs fixés lors de la convention de Paris d’empreinte carbone.

De même, l’engagement des décideurs économiques peut également prendre des voies sous-estimées. Vivre l’awe est un acte écologique extrême car cela nous relie à la nature, transforme nos perceptions du monde et nous engage. Gérard Bos, directeur mondial du programme “Business et biodiversité” de l’UICN [l’Union internationale pour la conservation de la nature, ndlr], rapporte que lorsque des patrons sont accompagnés par des guides de montagne en excursions alpines, ils réconcilient leur comportement de citoyens et de décideurs économiques, et selon leurs propres mots, “reconnectés”, ils sont prêts, de retour au travail, à embarquer leur entreprise, à contribuer à la protection de l’environnement et du vivant. En ce sens, dans son projet TranSphères, l’Ademe [l’Agence de la transition écologique, ndlr] constate une porosité des sphères personnelle et professionnelle en termes d’engagement écologique.

La fréquentation accrue de la nature dessine des chemins de transformation écologique via une mutation de nos besoins.

La connexion à la nature a un véritable pouvoir transformationnel, elle est de type à reconfigurer en profondeur les préférences des individus, jusque dans les habitudes de vie, modes et goûts, et a donc vocation à transformer en profondeur la société. Aussi notre étude propose-t-elle donc un chemin de reconnexion à la nature dans nos différents espaces de vie que sont le logement et la ville, le travail et l’éducation, et encore la consommation ou l’alimentation ou les loisirs. Nous avons besoin d’apprivoiser et de nous réapproprier notre relation au vivant. À titre d’illustration, la fréquentation accrue de la nature génère une diminution des symptômes addictifs, y compris d’achat, et dessine donc des chemins de transformation écologique via une mutation de nos besoins.

Enfin, notre étude a exploré des centaines de recherches (700 notes de bas de page). Nous avons croisé ces données et conceptualisé une typographie des différents bienfaits de la nature : physiques, émotionnels, cognitifs (attention, apprentissage, performances et créativité), sociaux et même spirituels, de sens et appréciation de la vie, sans oublier les services écosystémiques nécessaires au bon fonctionnement du monde et à notre survie. La connaissance des chercheurs est telle qu’il existe un groupement parallèle au Giec : le Gieco. Un “Groupement international pour l’évolution du comportement”, créé à l’initiative de plusieurs neuroscientifiques (dont Jacques Fradin). Cet organisme multidisciplinaire rassemble des chercheurs, experts et professionnels du comportement souhaitant replacer le facteur humain au cœur d’un monde plus durable et désirable. Il s’agit d’agir, avec des propositions concrètes, des stratégies, des outils de mesure, des méthodes et toolkits, à destination des pouvoirs publics, citoyens, et tout autre acteur de la société pour guider l’évolution des comportements vers une conscience écologique commune.

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Club des acteurs publics

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