Partager

5 min
5 min

Réforme ENA-INSP : “Attention au cap et au rythme !”

Deux ans après la création de l’Institut national du service public (INSP) en remplacement de l’École nationale d’administration (ENA), le Cercle de la réforme de l’État, think tank notamment composé de hauts fonctionnaires et d’universitaires, lance une alerte sur cette transformation. “Le bruit de la décision initiale ne doit pas occulter le sens de ce processus de transformation, juge-t-il dans cette note que publie Acteurs publics. Il a en effet une dimension stratégique pour l’État mais aussi pour le pays dans son ensemble. Après deux ans, rien n’est joué. L’heure est, et d’urgence, à la mise en œuvre concrète et il faut alerter sur le cap et sur le rythme.”

En annonçant, le 8 avril 2021, au moment du mouvement des gilets jaunes, la suppression de l’École nationale d'administration et la création de l'Institut national du service public, le Président de la République visait un symbole. L'ENA incarnera encore longtemps pour les Français les jugements qu'ils portent sur leur haute fonction publique et plus globalement sur l’État.

L'INSP a vocation à porter, au-delà d’une feuille de route de modernisation, des changements de fond. Le bruit de la décision initiale ne doit pas occulter le sens de ce processus de transformation. Il a en effet une dimension stratégique pour l’État mais aussi pour le pays dans son ensemble. Après deux ans, rien n’est joué. L'heure est, et d’urgence, à la mise en œuvre concrète et il faut alerter sur le cap et sur le rythme.

Quelles ambitions l'INSP porte-t-il pour ses promoteurs ? D'abord, la vision d'un État décloisonné, et d'une communauté de cadres supérieurs surmontant les clivages professionnels entre administrateurs, ingénieurs ou cadres issus de recrutements spéciaux. Ensuite un État ouvert, organisé pour coopérer avec les autres acteurs des politiques publiques, territoriaux ou sanitaires et sociaux. Enfin pour l'INSP lui-même, une nouvelle articulation entre une dimension de recherche et d'innovation dotée de moyens en lien avec les institutions universitaires et les pratiques professionnelles propres au service public.

Une réflexion sur les métiers de la haute fonction publique et la manière de les exercer est certes un défi, mais elle est indispensable. Il revient à la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l’État, la DIESE, créée début 2022, de l’animer. Dans ce cadre, l'INSP est chargé avant tout de continuer à assurer aux élèves les compétences pour remplir efficacement leurs futures fonctions, en axant plus la scolarité sur le projet professionnel. Par ailleurs, la présence, parmi les enseignants, de responsables publics mérite d'être conservée tout en trouvant un équilibre avec des profils universitaires. Au surplus, l’approche opérationnelle recherchée ne doit exclure en rien l'aptitude à concevoir les politiques dans le même rapport de proximité.

L'INSP n'a pas accompli à ce jour l'ensemble des révolutions attendues. La grève des élèves en juin 2022, les critiques contre le processus d'affectation sont des signaux d'alerte. Des avancées sont intervenues. D'autres ont été annoncées par la directrice de l'INSP dans le cadre d'une réforme applicable au 1er janvier 2024. L'essentiel reste cependant à conduire.

Le rôle de chef de file imparti à l’INSP n’a pas encore trouvé sa substance.

La création du concours distinct “talents” qui permet de donner plus de chances aux boursiers ou aux demandeurs d'emploi est un point positif. L’arrêté du 22 mars a modifié les épreuves des concours d’entrée. Mais l’affaiblissement des épreuves techniques y compris juridiques repose sur le postulat que les élèves compenseront les éventuelles lacunes au cours de la scolarité, ce qui n’est pas évident. Il reste aussi à assurer que les épreuves permettront de tester l’aptitude des candidats à porter les enjeux de la transformation publique et leur capacité d'investissement personnel au service de l’État.

En 2022, les étudiants de l'INSP ont suivi des formations communes avec ceux de l'Institut national des études territoriales, l'INET. Les cadres dirigeants de l’État et des collectivités territoriales doivent parler un langage commun mais être conscients de leurs différences de rôle. L’ambition du “tronc commun” reste embryonnaire dans sa durée comme dans ses thématiques. Son champ devrait couvrir effectivement les écoles du secteur sanitaire et social, d'ingénieurs, de la magistrature... voire au-delà dans le respect des besoins et de la culture propres à chacun. Le rôle de chef de file imparti à l’INSP n’a pas encore trouvé sa substance. Un dispositif de coordination et d'arbitrage reste à mettre en place au niveau interministériel et une dynamique commune à construire.

La suppression actée du classement de sortie doit être gérée pour permettre la nouvelle démarche de formation tout en instaurant un système d'affectation juste et performant. En 2024, il sera remplacé par des entretiens avec les employeurs sous le contrôle d'une commission de suivi, couplés avec la fin de l'accès direct aux grands corps. La réussite de ce processus complexe d'appariement engagera des enjeux essentiels pour la justice sociale, l'attractivité et la performance de la haute fonction publique. Ce serait un échec si, faute de transparence ou d'implication suffisante des employeurs, il créait des injustices et des pertes d’engagement. Sur ce point crucial, tout reste à faire.

Avec la création de l'INSP, la suppression du classement de sortie et la réforme de la haute fonction publique, des cadres dirigeants de l’État seront issus des cursus sans formation au service public. Les grands corps vont déjà chercher dans le secteur privé les compétences utiles. Cette évolution majeure exige des réflexions de fond sans lesquelles le projet de l'INSP s'avérerait illusoire. Penser qu’une « marque INSP » pourrait être en elle-même assez attractive dans cette concurrence serait peu réaliste.

Les formations continues avaient été un point faible de l’ENA. Leur développement est un enjeu majeur dans le contexte de transformation accélérée des administrations publiques et de mobilités individuelles facilitées. Tout reste à bâtir en lien avec la DIESE. Il faut trouver les voies pour fédérer les écoles de service public, mais aussi les instituts ministériels et, à l'instar d'administrations étrangères, s'ouvrir vers d'autres formations, par exemple des masters d'affaires publiques. Pour l’ensemble des formations un système pluraliste d’évaluation est à concevoir.

Les partenariats avec l’enseignement supérieur seront décisifs pour prolonger la démarche de décloisonnement des enseignements et d'innovation. L'affectation à l’INSP d'enseignants-chercheurs peut en outre contribuer à structurer une démarche pédagogique qui intègre la dimension recherche. Cela suppose une clarification préalable des objectifs recherchés. L’attractivité à l’international résultera de la réussite d’ensemble et de l’évidence d’excellence en France-même.

L’étape à franchir est décisive et essentielle pour réussir cette composante majeure de la dynamique de transformation publique. Le Cercle de la réforme de l’État appelle toutes les parties prenantes, à commencer par la direction de l’INSP, la DIESE et la DGAFP, en lien avec l’association des anciens élèves de l'ENA et de l'INSP, SeRViR, et les autres écoles de service public à se fédérer et à unir leurs efforts en vue d'avancées concrètes.

La création de l'INSP, au-delà des symboles, doit conforter une fonction publique à la hauteur des attentes des citoyens et contribuer ainsi à nouer une relation de confiance, ciment de la démocratie.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×