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“Quand le débat sur le nucléaire tourne à la défiance, quelles leçons pour la démocratie ?”

Censé nourrir le travail parlementaire, le débat public sur l’avenir du nucléaire en France, porté par la Commission nationale du débat public, s’est clôturé dans un climat de défiance exacerbé entre les parties prenantes. Cet exercice démocratique, qui ambitionnait d’être un modèle en la matière, vient en réalité porter une nouvelle atteinte à la confiance des Français dans la vie politique. Une tribune de Julie de Pimodan, cofondatrice de l’Association des civic tech européennes et de Fluicity, qui explore les raisons de cet échec et en tire des leçons pour la démocratie participative en France. “L’incapacité de la CNDP d’aller au bout d’un débat public sur un sujet aussi important que celui du nucléaire en dit long sur l’urgence de repenser l'infrastructure démocratique en France, écrit-elle, et d’assurer la légitimité des décisions collectives.” 

La Commission nationale du débat public (CNDP) a pour mission de garantir le droit de toute personne vivant en France à l’information et à la participation sur les projets et politiques qui ont un impact sur l’environnement. Une ambition louable, en particulier sur un sujet aussi épidermique que le nucléaire, qui a justifié le choix d’un investissement massif sur le volet pédagogique : des vidéos explicatives, des lettres d’information, des campagnes sur les réseaux sociaux, des explications méthodologiques, du fact-checking… Tout est disponible sur le site de la CNDP dédié au débat. Sur le volet participatif, les citoyens, une fois cultivés, pouvaient participer à une série de longues réunions, accessibles en présentiel ou en ligne.

Il était également possible de participer sur une plate-forme numérique qui proposait un module de questions-réponses (253 participants) et un forum de discussion (1 100 participants). Pour compléter l’arsenal d’outils démocratiques, un panel restreint composé de 25 citoyens français a fait des propositions sur l’incertitude climatique et géopolitique liée au débat.

Une “mascarade démocratique”

Malgré les moyens, le débat public sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires a été suspendu : ses organisateurs se sont sentis court-circuités par le calendrier de l’Élysée et du gouvernement. Dans la section “Enjeux du débat” de son site, la CNDP expliquait pourtant clairement les questions préalables pour assurer l’utilité du débat :
1. Le débat intervient-il bien avant que la décision ne soit prise ?
2. Comment éviter que le débat ne se réduise à une bataille d’experts ?
3. Que pouvons-nous attendre de ce débat public ?

Le Sénat est intervenu en plein cœur du débat, en supprimant l’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2035.

Hélas, aucune de ces questions préalables n’ont véritablement obtenu de réponse satisfaisante, ni en amont ni pendant le déroulement du débat. La question de l’antériorité du débat par rapport à la décision est fondamentale car elle conditionne la capacité du débat à influencer la décision politique. Dans le cas du débat sur le nucléaire, le Sénat est intervenu en plein cœur du débat, en supprimant l’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2035. À cause de cela, le débat n’a pas atteint son objectif de nourrir le débat parlementaire sur la loi de programmation “Énergie-climat” attendue au deuxième semestre 2023.

La question du risque de la bataille d’experts a également raté sa cible. En effet, malgré une quantité importante de contenus et de réunions diffusées sur le site, on s’y perd. Pour tenter de rattraper ses lacunes sur ce sujet complexe, le citoyen profane doit passer plusieurs heures de formation sur le sujet, et prendre connaissance de chaque enjeu à travers des enregistrements de réunions publiques, d’une durée de plus de deux heures chacune. La plate-forme numérique semble n’être conçue que pour assurer le suivi de ces longues réunions. Le niveau de connaissance des participants y est déjà très élevé : “Existe-t-il une thermocline favorisée par le rejet d’eaux plus chaudes ? Quelles sont les conséquences sur le phytoplancton et le zooplancton ? Plutôt que rejeter l’eau chaude résiduelle en mer, pourquoi ne pas l’utiliser pour chauffer des serres, bâtiments, piscines... ?”, etc.

Bref, le sujet est non seulement complexe et technique, mais les outils de participation sont intimidants et la “version débutants” du parcours de consultation est inexistante. Enfin, sur la question de ce qu’on pouvait attendre de ce débat, si l’objectif de peser sur le travail parlementaire a été énoncé, on attend des réponses plus concrètes pour les prochains mois. En effet, la méthodologie de traitement et d’analyse de données, la transparence de la restitution, la vulgarisation de celle-ci auprès des médias pour un public plus large seront nécessaires pour aider la CNDP à assurer la réalisation de sa mission de “permettre à chacun de peser sur les projets politiques”.

Qu’il s’agisse d’une consultation citoyenne locale ou d’un débat public national, la volonté politique autour de la consultation est probablement le plus grand facteur de réussite.

À ce stade, sur le site de la CNDP, on peut seulement lire : “L’équipe du débat dispose désormais de deux mois pour traiter l’ensemble des contributions et publier son compte rendu. EDF et RTE auront ensuite trois mois pour publier leur décision et leurs réponses aux recommandations de la Commission en charge du débat.” Cette dernière étape sera indispensable pour justifier l’utilité des moyens investis et pour démontrer de la reconnaissance à tous les participants, aussi experts soient-ils.

Liberté, égalité, sincérité

Les 3 questions soulevées par la CNDP sont particulièrement intéressantes et utiles pour toute institution ayant pour projet de lancer un dispositif de participation citoyenne. Répondre à ces questions en amont d’une démarche n’est pas simple : c’est pourtant la condition nécessaire à la réussite d’une consultation citoyenne. En ce qui concerne la participation des citoyens, en particulier via une plate-forme citoyenne numérique, il est essentiel, lorsque le sujet est complexe ou épidermique, de favoriser un parcours très encadré, permettant à toute personne de participer selon ses moyens, quel que soit son niveau de connaissance. Enfin, qu’il s’agisse d’une consultation citoyenne locale ou d’un débat public national, la volonté politique autour de la consultation est probablement le plus grand facteur de réussite. Ainsi, en l’absence d'un alignement des différents pouvoirs en place sur l’intérêt d’un débat public, il sera difficile d’accorder le temps nécessaire à la bonne réalisation des échanges et impossible de lui donner du poids dans la décision politique.

Les Français ont de fortes attentes en matière d’innovation démocratique et de réformes des institutions. C’était l’un des principaux enseignements du grand débat national. L’incapacité de la CNDP d’aller au bout d’un débat public sur un sujet aussi important que celui du nucléaire en dit long sur l’urgence de repenser l’infrastructure démocratique en France et d’assurer la légitimité des décisions collectives. Dans la période de forte transformation économique, écologique et sociale que nous vivons, il est indispensable d’optimiser et améliorer les dispositifs participatifs existants, de structurer juridiquement le champ de la démocratie participative.

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Club des acteurs publics

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