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Pierre-Étienne Pommier : “Le temps est venu de débureaucratiser l’éducation nationale”

Auteur d’une note pour l’Institut Sapiens, Pierre-Étienne Pommier*, entrepreneur dans le numérique, les médias et l’éducation, plaide dans Acteurs publics pour une réforme de l’éducation nationale, visant notamment à redéfinir les rôles entre l’administration centrale et les établissements d’enseignement. Il voit la première plus “stratège” et les seconds plus autonomes.

L’éducation nationale est un ogre bureaucratique qui dévore tout sur son passage et finit par démotiver les plus motivés. L’administration centrale fonctionne en ignorant les réalités opérationnelles du terrain, une grande partie de son travail consistant à gérer la complexité qu’elle a elle-même générée.

Cette bureaucratie sclérose, invente un monde sémiotique, une réalité sémantique avec son propre cryptolangage, elle se retrouve la plupart du temps déconnectée de la réalité, incapable de répondre aux problèmes qui lui sont posés. Chez les enseignants et chefs d’établissement, le sentiment est au mieux celui d’une infantilisation insupportable et parfois un gros éclat de rire désabusé s’en échappe, tant ce qui est écrit dans les circulaires prépare peu aux sujets rencontrés, est décalé par rapport aux besoins et consomme un temps précieux. La gestion de la crise sanitaire a été un révélateur ultime de ce décalage entre cette administration et ceux qu’elle est censée servir.

Il est temps de proposer un changement de méthode et d’organisation qui rompe avec plus de cent cinquante ans de tradition centralisatrice.

Mais surtout, cette organisation conduit à un système incapable de lutter contre les inégalités de départ et ne permet plus de tendre vers l’excellence. Notre système éducatif décroche, incapable de suffisamment valoriser notre capital humain, et c’est notre avenir qui est menacé.

Il est temps de proposer un changement de méthode et d’organisation qui rompe avec plus de cent cinquante ans de tradition centralisatrice. Il faut sortir de ce  système, suradministré mais sous-géré, donner plus de liberté aux acteurs de terrain, inventer quelque chose en proposant une nouvelle organisation du système scolaire avec trois niveaux.

1. Un État stratège qui garde la main sur les programmes (avec l’interdiction de faire évoluer plus de 10 % des contenus chaque année), les examens, l’évaluation du système (en s’appuyant sur des critères scientifiques objectifs et transparents), le recrutement et la formation des enseignants. Cet État stratège sera représenté au niveau local par les rectorats, dont les missions seront alignées. Il s’agit de constituer une administration d’élite capable de fonctionner avec des effectifs beaucoup plus réduits qu’aujourd’hui. La contrepartie de l’autonomie des acteurs locaux sera un suivi rigoureux des objectifs mis en place pour créer les conditions d’égalité des chances tout en assurant la montée en compétence globale des élèves, condition indispensable pour maintenir notre pays dans la course internationale. 

2. L’essentiel de la gestion de la vie scolaire locale sera confiée à des districts calés sur les bases des actuels “bassins d’éducation et de formation”. La mission du district sera la réussite éducative et l’insertion professionnelle de chacun des élèves présents sur son territoire. Un des objectifs sera la réduction du nombre de “NEET” (jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation)**, qui doit tendre vers zéro. Les districts auront des moyens budgétaires pour assurer sur le terrain la redistribution nécessaire. Les responsables seront élus par les chefs d’établissement, des représentants des parents d’élèves et des acteurs économiques et sociaux locaux. Ils auront la compétence et les moyens pour mettre en place et gérer une offre de services scolaires et périscolaires à destination de la communauté, de nature culturelle, sociale, sportive, scientifique… Ils développeront des partenariats de proximité pour faciliter l’orientation et l’insertion professionnelle des jeunes.

3. Les établissements verront leur autonomie renforcée dans le recrutement et l’animation des équipes, avec des projets pédagogiques qui associeront l’ensemble de la communauté éducative. Cette liberté pédagogique doit permettre d’adapter la forme et les rythmes scolaires aux réalités locales. Les chefs d’établissement bénéficieront d’une enveloppe budgétaire autonome pour financer les projets ainsi que des augmentations de salaire des enseignants régulées au national.
Le projet d’autonomie des établissements nécessite de travailler en réseau, de mettre en commun un certain nombre de ressources et de bonnes pratiques. La débureaucratisation doit permettre de mieux associer toute la société à la réussite éducative, à commencer par l’engagement des parents, car l’école seule ne peut pas tout.

Cette approche agile, qui colle à la réalité existante, a le mérite de pouvoir être mise en place assez facilement et rapidement, sans entrer dans un big-bang organisationnel auquel nous devrions consacrer l’essentiel de notre énergie des cinq prochaines années.

Au final, ce projet nécessite de remettre l’école au cœur des priorités des politiques publiques en mettant chacun face à ses responsabilités, individuelles et collectives car, pour reprendre un proverbe africain : il faut tout un village pour élever un enfant.

* Pierre-Étienne Pommier est entrepreneur dans l’éducation et les médias numériques. Conseiller numérique du groupe LREM à l’Assemblée entre 2019 et 2020, il a été, avant cela, chargé de mission “transformation numérique” à l’éducation nationale. Il a publié en mars une note pour l’Institut Sapiens sur la réforme de l’éducation nationale.
** D’après l’anglais “neither in employment nor in education or training”.

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Club des acteurs publics

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