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OpenDataFrance : “Le numérique ne doit pas se limiter à la fonction de « contrôle » de la transition écologique”

Pour Akim Oural et Mathieu Brient, membres de l’association OpenDataFrance, le numérique doit d’abord “favoriser l’émergence de formes collaboratives de connaissances et d’actions qui s’articulent localement et à grande échelle”, notamment grâce à une meilleure ouverture et réutilisation des données environnementales. L’ouverture des données se révèle une alliée précieuse pour réussir la transition écologique, de même que l’adaptation des territoires aux nouvelles réalités du dérèglement climatique.

Akim Oural (à gauche) et Mathieu Brient (à droite), membres de l’association OpenDataFrance.

Les capacités de production, d’analyse et de modélisation de données se sont largement accélérées ces dix dernières années. Qu’elles soient d’origine humaine, issues d’imagerie satellite ou de réseaux de capteurs, les volumes de données environnementales semblent sans limite. Mais si “le numérique est un moyen sans but, et l’écologique un but sans moyen” (Fing - Transition2), comment faire converger utilement et concrètement ces deux orientations ? Au-delà de l’offre de données, comment faciliter l’usage des données et ainsi contribuer à la mise en réseau et en capacité des acteurs territoriaux ?

Répondre aux défis de la transition écologique et énergétique ainsi qu’à l’adaptation des territoires au changement climatique suppose une connaissance fine des capacités et des limites en présence dans les territoires. Plusieurs actions visent à aligner les ressources numériques disponibles (données, services et applications, modélisations), en réponse aux enjeux de planification écologique.

Données libérées et valorisées

La France a fixé, dans la loi pour la transition énergétique et la croissance verte, des objectifs pour atteindre une neutralité carbone en 2050. Ils sont déclinés à travers la Stratégie nationale bas carbone et la programmation pluriannuelle de l’énergie. Cette dernière vise à : réduire les émissions de gaz à effet de serre ; réduire le taux de consommation d’énergies fossiles ; faire émerger les énergies renouvelables ; réduire la consommation énergétique finale.

D’autres objectifs relatifs, par exemple, à la limitation de l’artificialisation des sols, à la préservation et restauration des environnements et milieux, à l’amélioration de la qualité de l’air, de l’eau, des sols, au développement de mobilité active, à la rénovation des logements, à la résilience alimentaire des territoires… nourrissent des actions et politiques territoriales en faveur de la soutenabilité de l’action publique. Cependant, à ce jour, l’ensemble de ces objectifs et engagements sont complexes à articuler et à décliner en indicateurs opérationnels. 

Les 22 chantiers opérationnels de la planification écologique “France Nation verte” (2022)

La politique publique comme les initiatives locales en faveur de l’open data ont permis depuis dix ans l’ouverture d’un nombre très important de données territoriales et environnementales disponibles à plusieurs échelles. Ces données produites en partie par des acteurs publics, dont des opérateurs spécifiques mais aussi les collectivités territoriales, sont libérées et valorisées. 

Si les moyens nécessaires à la réutilisation de ces données sont anticipés (documentation, qualité et maintien, découvrabilité…), des usages s’opèrent par des acteurs privés, associatifs mais aussi publics. La mobilisation de données ouvertes vise, pour ces derniers, à l’élaboration de connaissances et d’indicateurs d’état, de pression et de réponses pour aider au pilotage de politiques publiques.

Plusieurs projets remarquables de plates-formes et observatoires émergent pour accéder à ces données. Cependant, cette logique de l’offre est loin de croiser celle de l’usage et de l’appropriation massive et systématique de ces données à des fins de transition écologique.

De fait, l’appropriation des données environnementales soulève plusieurs enjeux.

Des enjeux de gouvernance : beaucoup sont des données sensibles, encore non ouvertes, produites par un paysage très diversifié d’acteurs publics comme du secteur privé. L’évolution du cadre légal européen de  “donnée d’intérêt général” (data-altruism), déjà présent dans la loi pour une République numérique, pourrait faciliter leur mobilisation. 

Des enjeux sociaux et d’acculturation : se renforce une fracture entre ceux qui possèdent et produisent les données et ceux qui n’y ont pas accès, ne savent pas comment les produire ou les analyser. De nouvelles formes de design, de datavisualisations, de médiations en relais d’acteurs de terrain ou encore des réseaux éducation à l’environnement peuvent aider à cette (ré)appropriation de la donnée. Afin d’apporter confiance et pédagogie dans les données produites, ce travail d’acculturation doit se prolonger aussi vers la société civile, qui est partie prenante intégrante de la transition des territoires. 

Des enjeux techniques : la multiplicité des acteurs et des portails soulèvent le problème de la découvrabilité et de la qualité des données. On observe une absence ou une disparité de standards et de formats (par métiers, secteurs, organisations, contrats...). Des actions concertées et intégrées visant à l’interopérabilité et à la pérennité des données et des services sont nécessaires. 

Des enjeux de sobriété : poussée par les enjeux éthiques et environnementaux des impacts du numérique, la question du renoncement fera monter les enjeux politiques et d’acceptation des territoires connectés qui vont fortement mettre sous pression le corps social. Une transformation du numérique lui-même, de la pérennité et frugalité des déploiements mais aussi de la souveraineté et de la transparence des usages, sera nécessaire pour maîtriser ses impacts.
 

Pour une utilisation plus intensive et opérationnelle
des données environnementales

Comment, inspirées des principes du FAIR (données faciles à trouver, accessibles, interopérables, réutilisables) et de la dynamique des communs, les données environnementales peuvent-elles être un levier en faveur de la transformation écologique et solidaire de nos territoires ? 

Pour répondre à ces enjeux, OpenDataFrance, à travers son programme partenarial “Données et Transition”, soutenu par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, produit des méthodes, ressources et outils. Pour aider les collectivités à piloter leur planification écologique, l’association travaille à l’élaboration :
- d’inventaires de bases de données environnementales qualifiées et accessibles à échelle communale, 
- d’inventaires d’outils, de ressources et de cas d’usages réplicables localement,
- de développement d’outils d’extraction de données environnementales à partir des données OpenStreetMap, ou encore de bases de données nationales,
- d’accompagnement d’expérimentations locales pour adapter l’offre de données aux besoins des collectivités.

En développant l’identification, l’accès, la qualité et l’interopérabilité de ces données, de nombreux cas d’usages peuvent aider la transition des territoires. En voici quelques exemples.

Dans le champ “santé-environnement”, des données coproduites peuvent apporter confiance et pédagogie aux enjeux de la qualité de l’air. En 2021, 27 agglomérations présentaient des dépassements des seuils réglementaires de qualité de l’air fixés pour la protection de la santé. Ainsi, en complément des données produites par les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) comme Air Breizh, la démarche AmbassadAir développée à Rennes invite les habitants, à l’aide de capteurs, à mesurer, discuter et s’informer sur les impacts de la pollution de l’air ainsi que des moyens d’action pour les limiter.

Dans le champ de la transition énergétique, les distributeurs de gaz et d’électricité ont une mission de comptage, mais également de mise à disposition des données, qui s’est considérablement enrichie au cours des dix dernières années. Les données issues de la distribution sont très utiles aux acteurs aussi bien pour établir des diagnostics que pour aider à la priorisation des actions et à la décision, ou encore permettre l’évaluation des politiques publiques.

L’Agence ORE (Opérateurs de réseaux d’énergie) rassemble tous les distributeurs de gaz et d’électricité. Elle met à disposition en open data des données, notamment de consommation, de production ou encore d’infrastructures réseaux, accessibles à tous. Pour les experts, elle vient d’ailleurs de lancer un forum permettant de faciliter les échanges entre les utilisateurs des données et ceux qui les produisent.

Pour faciliter l’appropriation la plus large possible de ces enjeux de transition énergétique, l’Agence ORE propose également un référencement de près de 480 datavisualisations, outils visuels qui permettent de faire parler la donnée et de faciliter pour tous les publics une meilleure compréhension des grands enjeux de l’énergie.

Dans le champ de la sobriété foncière, la rénovation des logements impose un changement profond de la fabrique de la ville. Acteurs territoriaux et agences d’urbanisme doivent désormais limiter et maîtriser l’artificialisation des sols. L’urbanisme circulaire permet d’identifier et engager des rénovations au sein d’infrastructures déjà présentes sur le territoire. Le croisement de données ouvertes, tels que les logements vacants, les diagnostics de performance énergétique, le nombre de professionnels et artisans présents sur le territoire, permettent aujourd’hui d’obtenir des indicateurs pour mieux cibler et accompagner les projets de rénovation des logements. 

La réponse aux enjeux de transition ne viendra pas uniquement d’orientations nationales et verticales, mais aussi d’initiatives horizontales et de dynamiques locales.

Atteindre les promesses du “net zéro” fixé par le Schéma national bas carbone nécessite de connaître, suivre et adapter nos environnements, comprendre et développer les capacités de résilience des territoires. La transition écologique et l’adaptation au changement climatique s’inscrivent dans un temps long, plus généralisé et plus déstabilisant dans nos modèles de production, de consommation et de fabrique du territoire, que les crises que nous avons connues jusqu’alors. 

La réponse aux enjeux de transition ne viendra pas uniquement d’orientations nationales et verticales, mais aussi d’initiatives horizontales et de dynamiques locales, seules capables d’agir de façon concertée et adaptée aux situations spécifiques des territoires. Le numérique ne doit pas se limiter à la fonction de “contrôle” de la transition écologique. Il favorise en premier lieu l’émergence de formes collaboratives de connaissances et d’actions qui s’articulent localement et à grande échelle.

L’appropriation des données environnementales en tant que support de connaissance, de décision et d’évaluation peut contribuer ainsi à la mise en capacité des acteurs, au débat et, dans une certaine mesure, à une démocratisation de l’écologie.

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Club des acteurs publics

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