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Olivier Sichel : “La solidité de la Banque des territoires apporte un peu de sérénité dans la gestion de la crise”

Le directeur de la Banque des territoires et directeur général adjoint de la Caisse des dépôts détaille pour Acteurs publics les interventions de son institution auprès des acteurs locaux pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire. Une crise, dit-il, qui devrait amener les décideurs locaux à repenser l’autonomie de leurs territoires et la chaîne logistique et qui va “sans doute remettre le marché à sa place”. “C’est notre mission que d’être sollicités”, souligne Olivier Sichel.

Comment la Banque des territoires s’organise-t-elle opérationnellement pour répondre à la crise ?
Nos équipes, à 97 % en télétravail, ont été immédiatement opérationnelles. Les outils de visioconférence sont fortement utilisés et nous répondons à l’appel des territoires, des collectivités et de tous nos partenaires. Pour cela, nous avons séparé les mesures d’urgence liées à la gestion de crise et les interventions pour penser l’après-crise.

Quelles sont ces mesures d’urgence ?
Nous avons avancé selon 3 cercles d’urgences. D’abord, assurer la trésorerie de la Sécurité sociale : nous sommes les banquiers de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui a été soumise à un gros choc, dispose de moins de recettes et fait face à davantage de dépenses. Il a fallu immédiatement nous mettre en ordre de bataille pour lui assurer des liquidités de plusieurs milliards d’euros. Le deuxième cercle d’urgences tient à notre rôle de banquier des professions juridiques, qui ont des besoins de trésorerie. Nous avons mis en place un plan de soutien en lien avec les instances dédiées – le Conseil supérieur du notariat et son président, Jean-François Humbert. Nous avons aussi communiqué en leur direction, avec notamment un chat vidéo sur lequel se sont connectés 1 300 notaires. Troisième niveau d’urgences : le travail auprès des collectivités territoriales, qui sont nos partenaires régulières. Elles engagent, à l’heure actuelle, d’importantes dépenses pour faire face à l’urgence, et elles sont pour le moment très nombreuses à pouvoir recourir au marché bancaire, qui reste stable. Mais nous restons vigilants au cas où une faille se révèlerait et nécessiterait de venir au secours des plus fragiles. Pour accompagner au mieux les collectivités territoriales, nous avons choisi d’élaborer des solutions dédiées aux acteurs territoriaux avec lesquels les collectivités coopèrent. Nous sommes ainsi intervenus dans la région Grand Est, la région Sud, les Pays de la Loire ou l’Occitanie – pour ne citer que les premières régions d’intervention –, avec la mise en place de fonds de solidarité pour soutenir les très petites entreprises dans les régions et les structures non éligibles au PGE [le prêt garanti par l’État, ndlr], comme les associations ou les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Et nous travaillons actuellement avec d’autres régions pour multiplier ce type de fonds.

Nous sommes présents pour toutes les strates des institutions locales. Le fait d’être un acteur institutionnel puissant et de proximité avec un bilan robuste apporte un peu de sérénité dans la gestion de la crise.

Quels sont les secteurs d’activité les plus touchés ?
Certains secteurs le sont plus que d’autres. Le bâtiment sera ainsi davantage impacté. Nous avons lancé un appel à projets, via CDC Habitat, de 40 000 “Vefa” – ventes en état futur d’achèvement – pour permettre de maintenir le cahier de commandes des entreprises du bâtiment : promoteurs, constructeurs… Nous avons par ailleurs débloqué 500 millions d’euros pour les notaires. Il s’agissait également de frapper vite et fort. Je constate que les présidents des conseils régionaux travaillent de concert avec les départements et les métropoles. C’est le cas du président du Grand Est, Jean Rottner, du président de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, de la présidente des Pays de la Loire, Christelle Morançais… Nous soutenons leurs initiatives.

Les entreprises publiques locales bénéficient également de votre soutien…
Nous avons procédé, pour de nombreux acteurs territoriaux, à une suspension de leurs prélèvements. Et nous leur proposons également des études “flash” pour leur permettre, en six jours, d’avoir un diagnostic financier très rapide pour préciser leurs attentes et leurs besoins en matière de trésorerie et de dresser des projections.

Que vous disent vos interlocuteurs dans les territoires ? Sont-ils inquiets ?
La situation est forcément anxiogène, mais ils sont rassurés par notre pérennité, par le fait que la Banque des territoires fasse partie de la Caisse des dépôts, une institution publique très solide. Et par notre capacité à les accompagner quel que soit le niveau de leurs difficultés, en mettant immédiatement à disposition des moyens. Le fait d’être un acteur institutionnel puissant et de proximité avec un bilan robuste apporte un peu de sérénité dans la gestion de la crise. J’évoquais les régions, mais nous sommes bien sûr présents pour toutes les strates des institutions locales, les maires, les élus locaux, qui ont à cœur de faire fonctionner les services publics et d’accompagner les acteurs économiques de leurs territoires.

La Banque des territoires est une organisation récente – une direction de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) créée en mai 2018. Avez-vous pleinement digéré votre réorganisation ?
Venant du digital, j’avais très fortement poussé à la numérisation de nos outils et à la dématérialisation de nos procédures, et nous en bénéficions aujourd’hui. Notre plate-forme (www.banquedesterritoires.fr), nos outils numériques sont pleinement opérationnels et très fortement utilisés dans cette période. Mais il faut rester humble parce que, par nature, nos interventions de conseils, d’accompagnement financier et d’ingénierie sont numérisables. CDC Habitat, filiale de la Caisse des dépôts, intervient pour des opérations en présentiel, notamment pour accompagner les activités d’Adoma, qui gère des habitats à vocation sociale. Et c’est forcément plus exigeant.

Quid des acteurs territoriaux, nombreux, qui maîtrisent mal les outils et les usages numériques ?
Territoires Conseils, petite structure au sein de la Banque des territoires qui accompagne les projets communaux et intercommunaux, est très présente, avec notamment un numéro vert basique, mais extrêmement utile. Le téléphone est souvent nécessaire et favorise le maintien d’un dialogue et d’un soutien direct. Au-delà, nous avons procédé à de gros investissements pour équiper en haut débit les territoires ruraux et faire reculer les zones blanches. Cela reste l’une de nos priorités.

La proximité avec les lieux de production sera développée. Cela supposera de repenser la chaîne logistique et de maîtriser davantage les besoins basiques : se loger, se nourrir, se déplacer, se soigner…

Le programme Action cœur de ville, destiné à doper le commerce et l’activité de proximité dans les centres-ville, est-il mis en suspens ?
En réalité, il l’était de facto, dans la mesure ou la crise est survenue dans le contexte particulier des élections municipales. Dans la période de campagne, il n’était pas possible de lancer de nouveaux projets et nous avions anticipé certaines inflexions post-élections. Ce projet reste évidemment très important et nous l’intensifierons pour favoriser la sortie de crise et la reprise.

Le secteur public et les territoires seront impactés par cette crise. Quels sont les apports qui peuvent en sortir ?
Si je réfléchis sur les différents apports possibles, je pense en premier lieu à la question de l’autonomie des territoires, avec des circuits courts de logistique. Les décideurs auront à cœur, je pense, de remédier à la dépendance des territoires en matière de masques, d’équipements sanitaires et médicaux, de circuits alimentaires… La proximité avec les lieux de production sera développée. Cela supposera de repenser la chaîne logistique et de maîtriser davantage les besoins basiques : se loger, se nourrir, se déplacer, se soigner…

Vos capacités financières sont-elles atteintes ? Pourrez-vous maintenir votre niveau d’engagement dans les territoires ?
En matière de prêts, nos capacités sont préservées. Nous disposons de quelque 12 milliards d’euros pour les collectivités et, après deux semaines de crise, nous avions accordé 150 millions d’euros de prêts en lien avec la situation d’urgence. La marge est donc assez large, nous pouvons aller encore très loin en matière de soutien aux investissements et d’accompagnement. Nous sommes une banque d’intérêt général présente pour répondre à des failles de marché. La grande réforme du début d’année, avec la création d’un grand groupe financier public français, complète la palette des outils disponibles [l’État et La Banque postale ont cédé leurs participations respectives dans la Sfil – la banque publique créée après la faillite de Dexia – à la Caisse des dépôts qui, par ailleurs, est devenue l’actionnaire majoritaire du groupe La Poste, ndlr]. Il n’y a donc aucune inquiétude à avoir. Nos recettes sont assises sur le Livret A : autant les marchés ont fortement bougé, autant le comportement des épargnants français est resté stable.

Il est normal que l’on fasse appel à nous. Mais chacun dans son mandat respectif : nous sommes là pour accorder des prêts, assurer des financements et une ingénierie, des conseils, etc.

Ne craignez-vous pas que l’exécutif décide de solliciter ces réserves pour financer le plan d’urgence et les plans de relance à venir ?
C’est notre mission que d’être très sollicités. Nous intervenons dès à présent, comme je l’ai détaillé, pour préparer l’avenir. Nous travaillons sur le tourisme, le logement, l’hôpital, le numérique… Il est normal que l’on fasse appel à nous. Mais chacun dans son mandat respectif : nous sommes là pour accorder des prêts, assurer des financements et une ingénierie, des conseils, etc. La question que vous posez relève de la responsabilité de l’État : je ne suis pas et nous ne sommes pas, à la CDC et à la Banque des territoires, des décideurs politiques !

L’avenir vous paraît-il assuré ?
J’ai toute confiance en nos capacités d’accompagnement. Je rends par ailleurs hommage aux équipes de l’institution que j’ai le privilège de diriger. Nous nous en sortirons et nous rebondirons. Mais on voit bien que cette crise va sans doute remettre le marché à sa place. Il faut, au-delà des critères d’efficacité, pouvoir répondre à des acteurs en difficulté. Il y a un fort besoin de services publics et il faut pouvoir faire jouer les leviers de solidarité en accordant les moyens nécessaires.

Propos recueillis par Sylvain Henry

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Club des acteurs publics

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