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[Rediff] Marine Le Pen : “Il faut rendre au service public ses lettres de noblesse”

Réforme de l’État, relations des citoyens aux services publics, gestion des ressources humaines, cadre budgétaire… Dans une interview écrite, réalisée en partenariat avec le Cercle de la réforme de l’État, la candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle, Marine Le Pen, détaille sa vision de l’État et des services publics.

Quelle devrait être pour vous la place de la puissance publique par rapport aux autres acteurs dans la société ?

Il est admis que, en France, c’est l’État, d’abord capétien, qui a patiemment créé les conditions pour que se forge notre nation. Je considère donc que l’État doit continuer de jouer un rôle majeur de garant de la continuité nationale : d’abord en la protégeant contre les agressions extérieures et les déstabilisations intérieures de toute nature. Ensuite en assurant aux citoyens les meilleures conditions de vie et le bien-être, dans les limites d’une société de liberté. C’est dire aussi que l’État doit savoir demeurer à sa place, ne pas se mêler de ce qui peut efficacement relever de l’initiative privée, et respecter les libertés. Il y a là un juste équilibre à trouver. Cet équilibre a été particulièrement mis à mal sous le quinquennat d’Emmanuel Macron : l’État régalien a démissionné de nombre de ses fonctions, et d’abord en laissant se déliter l’ordre républicain, avec de dramatiques conséquences sur la sécurité des personnes et des biens. Ensuite, les gouvernants ont donné l’impression d’être le serviteur d’une oligarchie sans scrupules, qui se croit tout permis dans la défense des intérêts, sans guère se soucier du sort des plus faibles – à moins qu’ils ne soient étrangers et, de préférence, en situation irrégulière. Enfin, le démembrement de notre puissance économique, sciemment organisé par la liquidation de nos actifs au profit de groupes étrangers, et la soumission insensée aux caprices de la Commission européenne et aux intérêts allemands confirment que le processus d’affaiblissement durable de notre État est en marche. J’entends bien renverser ce processus en tous domaines !

La crise sanitaire a renforcé l’État comme acteur central de la puissance publique. Pour vous, est-ce une parenthèse ou en ferez-vous un axe durable ?

Emmanuel Macron et les siens ont très vite compris que la crise sanitaire allait leur permettre d’accroître leur emprise sur la société, et ont donc utilisé toutes les opportunités pour renforcer les pouvoirs de l’État, “quoi qu’il en coûte”. Après avoir admis, au début de cette crise inédite, que l’on pouvait hésiter quant aux mesures à prendre et donc adopté une position très mesurée, j’ai ensuite dénoncé vigoureusement les excès de cet autoritarisme désordonné – qui s’est notamment manifesté par une série d’injonctions comportementales absolument insensées (on retiendra l’interdiction de boire son café debout !) – dont les effets délétères sur la société française n’ont pas encore été entièrement évalués.

L’un de mes axes de campagne porte d’ailleurs sur le rétablissement des libertés, et j’y accorde une grande importance : il faudra, après mon élection, éradiquer de notre droit toutes les mesures d’exception qui y ont été introduites depuis 2020, et veiller d’abord à protéger les plus fragiles, sans entraver la vie des autres. Mais cette crise a également révélé que nombres de mesures de contrôle social, que l’on nous décrivait auparavant comme absolument inenvisageables, pouvaient finalement être mises en œuvre : je compte bien en tirer les enseignements nécessaires dans le domaine de la lutte contre l’immigration clandestine et contre les fraudes.

Il sera mis fin, dans les meilleurs délais, à l’intervention coûteuse des cabinets de conseil, sauf rares exceptions correspondant à des besoins de nature technique bien identifiés.

Pour vous, que devrait être la réforme de l’État ? Parmi les réformes souhaitables dans l’État, lesquelles mèneriez-vous en priorité au cours des cinq prochaines années ?

La première vraie réforme de l’État à mener, c’est évidemment et d’abord de restaurer son autorité et l’efficacité de ses services. Je ne suis pas certaine qu’il faille, pour y aboutir, lancer encore une énième “réforme” aux contours flous, qui va mobiliser l’énergie des fonctionnaires et les détourner de leur action, tout en générant des angoisses inutiles : on ne peut pas dire que, à de rares exceptions près, les réformes menées depuis le mandat de Nicolas Sarkozy et continuées avec François Hollande puis Emmanuel Macron aient démontré leur efficacité ! Que je sache, les normes ont continué de proliférer, notre endettement s’est accru de manière abyssale, et la qualité du service public rendu aux citoyens s’est effondrée – l’exemple du démantèlement de l’hôpital public ou l’accroissement dramatique de l’insécurité le démontrent par trop !

Il faudra donc, dans un premier temps, que les ministres se contentent d’appliquer les textes, de donner des instructions rationnelles aux agents placés sous leur autorité et d’utiliser toute la gamme des instruments juridiques dont ils disposent. Naturellement, il faudra adopter les textes nécessaires pour renforcer l’efficacité des politiques publiques. Mais je ne crois ni aux “grands soirs” ni aux grandes messes. Tout ce qui concourt à rendre l’État plus efficace à moindre coût est naturellement souhaitable, pour autant, vous l’avez compris, que l’on ne désarme pas la puissance publique et que l’on renforce la protection que les citoyens sont légitimement en droit d’attendre de leur État national.

Comment feriez-vous pour concevoir les réformes à réaliser dans l’État (recours à des experts, “comitologie”, consultation citoyenne, consultation des agents publics…) ?

La première des actions à mener, c’est de libérer l’État de l’influence des intérêts particuliers, ou étrangers. Il sera donc mis fin, dans les meilleurs délais, à l’intervention coûteuse des cabinets de conseil, sauf rares exceptions correspondant à des besoins de nature technique bien identifiés : la détermination des politiques publiques, c’est d’abord l’affaire des ministres, de leurs collaborateurs directs et des fonctionnaires servant l’intérêt général. Que notre État, épaulé par une fonction publique dont on a longtemps et à juste titre vanté l’efficacité, en soit réduit à recourir de manière massive et occulte à l’expertise privée, comme on le découvre ces derniers jours, est absolument scandaleux ! Comptez sur moi pour renvoyer des prétendus experts privés là d’où ils viennent, et pour valoriser au mieux l’expertise publique. Quant à la “comitologie”, son rôle doit être limité aux aspects les plus techniques de l’action administrative, sous le contrôle étroit de l’autorité politique. Les agents publics ont évidemment vocation à être consultés sur les procédures qu’on leur demande de mettre en œuvre, mais les décisions politiques doivent être exécutées sans contestation possible ni “cogestion” avec les agents.

Enfin, je préfère clairement le recours régulier au référendum à toute autre forme de participation dite “citoyenne”, qui présente trop souvent l’inconvénient de donner la parole à des crypto-militants, désignés dans des conditions peu transparentes et plus ou moins manipulés par les experts, comme l’a montré la fameuse “Convention citoyenne sur le climat” dont les extravagantes propositions ont été en partie – et heureusement ! – abandonnées par Emmanuel Macron. J’estime, de manière générale, que le rôle du président de la République et du gouvernement est de proposer clairement une politique définie avant l’élection, et non de passer son temps à créer des comités et des commissions pour réfléchir à ce qu’il convient de faire en fonction de l’opinion du moment. 

À quelles attentes actuelles des citoyens l’État doit-il répondre prioritairement ?

Des mesures immédiates et concrètes de rétablissement du pouvoir d’achat, la restauration d’un système de santé opérationnel, la lutte déterminée contre l’insécurité (dans laquelle j’inclus évidemment l’éradication de l’islamisme) et le rétablissement d’une politique de maîtrise souveraine de l’immigration font partie de mes priorités immédiates. La question de l’immigration sera d’ailleurs soumise à référendum dans les meilleurs délais, car elle conditionne le succès de nombre de politiques publiques : en cassant les “pompes aspirantes” par la mise en œuvre de la priorité nationale et le départ de France de ceux qui n’ont rien à y faire, on soulagera ainsi nos services publics de dépenses insensées, et on les rendra plus efficaces.

Que feriez-vous pour que l’État soit à même de conduire les grandes transitions ?

Je l’ai dit, il faut d’abord rétablir le principe d’autorité : le chef de l’État, le Premier ministre et les ministres doivent tracer des orientations claires, et donner des ordres compréhensibles. Il faut abandonner la politique de la communication narcissique et le “en même temps”. Certaines mesures d’importance doivent être soumises au peuple français : je crois beaucoup à l’usage du référendum (y compris d’initiative populaire) pour pacifier le pays, car on ne descend pas dans la rue pour contester une loi quand on sait que l’on pourra, en réunissant quelques centaines de milliers de signatures, la contester par les urnes. Il s’agit d’inculquer à nos concitoyens une nouvelle culture civique, fondée sur l’espoir du débat démocratique et non plus sur la résignation, qui peut vite tourner à la contestation violente. 

La généralisation du scrutin proportionnel à toutes les élections va nécessairement pousser à [une] réflexion sur l’articulation région-département.

Comment ferez-vous pour concilier l’aspiration à la différenciation territoriale et l’impératif d’égalité et d’équité ?

Je suis favorable à la différentiation territoriale à la stricte condition que l’objectif poursuivi soit d’abord et toujours d’assurer à nos concitoyens le meilleur service public possible : que certaines collectivités exercent ainsi à leur demande des compétences supplémentaires, que d’autres de la même catégorie n’ont pas sollicitées, ne me gêne donc pas, pourvu que la cohésion nationale n’en souffre pas. Je suis d’ailleurs favorable, vous le savez, à un rééquilibrage de notre territoire national, par la “démétropolisation”, qui doit permettre à ceux qui le souhaitent de revitaliser, en s’y installant, nos zones rurales ou “périphériques”, aujourd’hui trop délaissées. Les mesures qui seront prises à cette fin s’inscriront naturellement dans une perspective de différentiation territoriale maîtrisée et équilibrée.

Comment faut-il selon vous réarticuler les politiques territoriales ? Y-a-t-il lieu de modifier les compétences ? Si oui, dans quels domaines, selon quels principes de décentralisation ?

J’ai toujours affirmé mon attachement aux communes, cellules de base de notre démocratie, et j’ai donc formulé des réserves sur la politique de renforcement autoritaire des intercommunalités. Je crois donc nécessaire, d’abord, de “geler” la situation en ce domaine, puis de redonner aux communes une plus grande liberté, chaque fois que ce sera possible, de s’organiser comme elles l’entendent. Quant aux grandes régions issues du découpage insensé de 2015, il faudra évidemment les remodeler. Il y a lieu également de s’interroger sur la pertinence du cadre départemental actuel, qui fait également l’objet de critiques. Je ne crois cependant pas utile de bouleverser encore une fois et trop rapidement notre organisation territoriale : notre pays est dans un état tel que j’ai vraiment d’autres priorités ! Mais mon quinquennat pourrait être l’occasion d’engager une réflexion transpartisane au long cours, en vue d’aboutir à une solution autant que possible consensuelle en vue d’une mise en œuvre à l’occasion des élections territoriales de 2028. En tout état de cause, la généralisation du scrutin proportionnel à toutes les élections va nécessairement pousser à cette réflexion sur l’articulation région-département. En tout état de cause, je n’exclus pas de recentraliser certaines compétences, en particulier en matière de transports : les impératifs d’un meilleur aménagement du territoire le nécessiteront.

Pour ce qui concerne les services de l’État lui-même, apporteriez-vous des changements aux caractéristiques actuelles de la déconcentration ? Aux relations entre autorités déconcentrées et collectivités territoriales ? À la liaison avec les territoires, aux modes de relations et de fonctionnement entre État et territoires ?

Comme je viens de vous l’expliquer, une pause dans les réformes me semble nécessaire. Les objectifs que mon gouvernement assignera aux services de l’État, et donc aux services déconcentrés, nécessiteront une mobilisation immédiate de tous les agents. Il n’est donc pas envisageable qu’on les distraie de leur mission en leur infligeant des inquiétudes inutiles quant à leur affectation ou l’organisation des services, et à la hiérarchie de nouvelles sujétions : le plus simple est d’abord de faire avec l’organisation existante, de stabiliser le paysage administratif et, le moment venu, une fois la situation du pays redressée, d’examiner sans précipitation ce qui peut être réformé, sans obsession maniaque pour l’organisation du désordre.

Je suis prête à nommer, auprès du Premier ministre, un ministre “de la Prospective”, qui pourrait être également chargé de la Recherche.

Que feriez-vous pour améliorer la capacité d’anticipation et de prospective de l’État pour prévenir les crises sociales, sanitaires et écologiques notamment, et y faire face ?

Il faut, à l’évidence, rendre à la fonction “prospective” l’importance qu’elle a perdue. C’était le rôle du Plan. Je n’ai pas critiqué la renaissance d’un commissariat au Plan. Mais il faut aller plus loin ! Je suis donc prête à nommer, auprès du Premier ministre, un ministre “de la Prospective”, qui pourrait d’ailleurs être également chargé de la Recherche. Le rôle de ce ministre sera de coordonner l’ensemble des organismes chargés des études et de la prévision qui dépendent de l’État et d’en tirer les enseignements.
 
Que ferez-vous pour assurer la proximité des services publics pour leurs usagers, et dans leur diversité ?

Ce problème récurrent sera d’abord combattu en renforçant l’accueil des usagers dans ces “maisons du peuple” que sont les mairies : il faut donc que, dans toute mairie – et les technologies de communication le permettent (visioconférences, par exemple) – un accès renforcé aux services publics soit organisé par tous moyens, et l’État devra y contribuer par des aides adaptées, en zones rurales, en particulier.

Peut-on produire la norme différemment : le triptyque gouvernement-Conseil d’État-Parlement fonctionne-t-il correctement ?

Depuis maintenant de nombreuses années, la surchauffe normative accompagne le déclin des services publics, le démantèlement de l’État, l’appauvrissement des Français, la submersion migratoire et la soumission aux intérêts étrangers. C’est dire que, au-delà des légitimes préoccupations qui peuvent naître du désordre normatif et de l’inflation normative, le principal dysfonctionnement imputable à ce triptyque, c’est d’abord l’impuissance publique à tous les niveaux ! Il est donc temps de réintroduire de la volonté politique dans ces circuits trop technocratiques : la production normative ne doit pas tourner en circuit fermé pour le seul bonheur de légistes esthètes ! Il faut aussi, comme je l’ai déjà dit, donner plus souvent au peuple la parole en matière législative, par le référendum et l’initiative populaire. Il faut sans doute réformer les modalités du travail parlementaire (je songe à la législation en commission). Quant au Conseil d’État, il remplira d’autant mieux son rôle de conseil dans la rédaction des textes qu’il sera associé à la préparation de réformes mobilisatrices, ambitieuses et porteuses de simplifications : à titre d’exemple, la législation sur les étrangers sera considérablement allégée dès lors que – comme le référendum que j’envisage sur la maîtrise souveraine de l’immigration le prévoit – une partie du droit international cessera de faire obstacle à une politique efficace en ce domaine.

Face à une société et des entreprises qui réclament autant de la norme qu’elles la rejettent, que feriez-vous pour la simplification et pour qu’elle ne demeure pas ponctuelle ?

La loi et les décrets doivent d’abord traduire une décision politique d’améliorer le bien-être des citoyens et de sauvegarder les intérêts supérieurs de la nation. Ils n’ont pas vocation à transcrire servilement dans notre droit les normes de plus en plus envahissantes de l’Union européenne ou les caprices narcissiques ou démagogiques des gouvernants. En rendant à la loi sa nature première de “commandement”, fondé sur une volonté politique claire, avec l’objectif de rendre aux citoyens leurs libertés et à l’État son efficacité, on règlera la question de la production de la norme. Bien évidemment, je comprends à la fois l’attachement à la règle, protectrice, et sa critique, comme attentatoire à la liberté : c’est une tension inévitable dans une société démocratique. Je suis persuadée qu’une parole politique claire et ferme, et une politique prévisible – et non déterminée au fil de l’eau et des caprices du moment, comme trop souvent depuis 2017 – permettra de mieux faire accepter à tous le nécessaire effort pour le redressement de notre pays, qui suppose d’abord de se soumettre à la contrainte des lois.

Doit-on aller plus loin dans la numérisation des services publics ? Faut-il donner la priorité à l’humanisation et comment ?

On doit aller aussi loin que possible dans la numérisation, pour autant que cela facilite la vie des citoyens, mais on doit toujours garantir à ceux qui ne sont pas suffisamment “connectés” l’accès à un contact humain. J’insiste sur la priorité qui doit être donnée à l’accès au plus grand nombre de services publics, et d’abord au niveau des mairies.

Je préfère clairement le recours régulier au référendum à toute autre forme de participation dite “citoyenne”.

La décision publique est de plus en plus contestée et incomprise. Que ferez-vous pour inverser la tendance ?

Je compte d’abord mettre en œuvre aussi précisément et rapidement que possible le programme que j’aurai présenté aux Français. Je compte surtout ouvrir largement aux Français l’accès à la décision publique : en matière législative, 500 000 citoyens pourront obtenir l’organisation d’un référendum pour décider de l’abrogation d’une loi existante, ou proposer des dispositions nouvelles. Certains traités seront soumis de plein droit au référendum, lorsqu’ils affecteront les conditions d’exercice de la souveraineté. En matière constitutionnelle, les citoyens pourront proposer une révision, et celles adoptées par le Parlement réuni en Congrès seront soumises au référendum sur initiative populaire. Les textes adoptés par référendum ne seront modifiables que selon la même procédure, et les textes rejetés par référendum ne pourront plus jamais être adoptés dans le dos des électeurs, comme ce fut le cas avec le traité de Lisbonne, qui a introduit en catimini dans notre cadre juridique à peu près tout ce que les électeurs avaient refusé en rejetant le traité constitutionnel européen trois ans plus tôt ! Le référendum et le droit de pétition seront étendus, avec les précautions nécessaires, au niveau local. C’est en rendant aux électeurs la parole dans leur pays que l’on relégitimera l’action publique, avec le concours actif des électeurs, et non pas seulement “d’en haut”. Ainsi, l’État cessera d’être perçu comme l’instrument au service exclusif de ceux qui veulent le démanteler au profit de quelques-uns en abdiquant notre souveraineté au bénéfice de l’Union européenne : je crois donc, et je me répète, qu’en remettant à leur juste place, qui ne pèsera pas lourd, les groupes de pression, les intérêts privés et les influences extérieures, on rendra aux Français leur pays et on leur fera respecter leur État.

Faut-il revoir le temps de travail des agents publics ?

Les lois et règlements en vigueur doivent être appliqués, et les agents doivent, d’abord, effecteur la tâche qui leur revient. Je ne vois pas de nécessité, aujourd’hui, de relancer des débats inutiles – sauf situations très spécifiques appelant des réponses adaptées, comme le secteur hospitalier. En revanche, ce sont plutôt des conditions de travail des agents publics dont il est urgent de se préoccuper enfin ! Locaux vétustes, matériels inadaptés, véhicules rares ou essoufflés… Le quotidien de nombres d’agents publics de l’État doit changer, et des lois de programmation sur la sécurité et sur la justice, en particulier, doivent y remédier d’urgence, avec l’objectif de mettre fin, sur cinq ans, aux situations inacceptables. J’ajoute que, au-delà des conditions matérielles de travail, la question du renforcement de la protection fonctionnelle effective de nos agents doit être posée, dès lors qu’ils sont exposés à des risques pour leur sécurité (forces de l’ordre, enseignants…).

Les syndicats ont perdu beaucoup de leur influence. Le dialogue social doit-il entrer dans une relation essentiellement directe entre employeurs et agents publics ?

Comme je suis favorable au référendum pour rendre la parole aux citoyens, je souhaite qu’il soit utilisé dans les relations du travail. Mais les organisations syndicales ont un rôle irremplaçable à jouer, qui est d’ailleurs reconnu par la Constitution. Encore faut-il que leur représentativité ne se sclérose pas au seul bénéfice de quelques appareils bureaucratiques vieillissants. C’est pourquoi je suis favorable à la liberté syndicale et à une plus large ouverture des critères de représentativité.

J’entends conserver en l’état notre modèle de fonction publique et écarter tout projet de précarisation.

Voulez-vous modifier l’équilibre actuel entre fonctionnaires et contractuels ? Quantitativement ? Quant aux responsabilités ? Quant aux expertises ? Dans quels domaines ? La dualisation de la fonction publique (statut-contrat) constitue-t-elle un modèle probant sur le long terme ou induit-elle un modèle à plusieurs vitesses ?

Je ne souhaite globalement pas modifier les règles en vigueur. Je suis attachée au statut – et d’abord à celui des fonctionnaires de l’État, mais je ne mésestime pas l’intérêt du recours, dans une mesure limitée, aux agents contractuels. Il faut laisser sur ce point une certaine souplesse aux autorités compétentes. Mais je veux être très claire : il n’entre pas dans mes intentions de remettre en cause le statut, qui n’est pas à mes yeux un obstacle, bien au contraire, au renforcement de nos services publics. Nos fonctionnaires seront d’autant plus dévoués à leur mission qu’ils seront rassurés sur la stabilité de leur avenir professionnel. Le statut constitue aussi, pour l’État, la garantie que ses agents lui consacreront toute leur énergie, à l’abri des influences extérieures. En outre, le temps long d’une carrière permet également d’acquérir une expérience précieuse. J’entends donc conserver en l’état notre modèle de fonction publique et écarter tout projet de précarisation.

Quels seront vos axes majeurs pour améliorer la confiance entre l’État employeur et ses agents et que ferez-vous concrètement ?

Il faut d’abord, je l’ai déjà dit, améliorer les conditions de travail des agents et les protéger contre les agressions. Il faut également respecter leur action en leur donnant des instructions claires. Il faut les rassurer sur leur avenir, en leur garantissant leur statut et en limitant au strict nécessaire les réorganisations de services.

Sur le sujet de la réforme de la haute fonction publique qui a été engagée, quelles seront vos orientations et les étapes que vous voudrez franchir rapidement ? Plus globalement, que ferez-vous en matière de gestion des ressources humaines pour la haute fonction publique ?

Je regrette que cette réforme soit intervenue dans des conditions aussi cavalières, par ordonnance et par pure préoccupation démagogique : elle constitue d’ailleurs une excellente illustration des caprices narcissiques du Président sortant. L’ENA pouvait être critiquée par divers aspects, et sans doute réformée, mais ne méritait sans doute pas le procès qui lui était fait. Les nouvelles procédures d’affectation dans les corps ne me paraissent pas offrir les garanties suffisantes. En tout état de cause, j’ai du mal à comprendre la logique qui a conduit à la disparition des corps d’inspection, du corps préfectoral et de ceux de notre diplomatie : l’exercice de certaines fonctions nécessite une expérience confirmée, qui ne s’acquiert pas en “butinant” d’un emploi à l’autre, ni en fonction de la proximité avec le pouvoir politique, et pas davantage par le viatique d’un passage dans le secteur privé. Je crois donc possible de revenir très rapidement sur cet aspect-là, au moins, de la réforme, après avoir engagé les concertations nécessaires. Il doit encore être possible de réactiver des corps placés en voie d’extinction… 

La fonction publique hospitalière bénéficiera des moyens nouveaux que j’entends attribuer à l’hôpital public dans le cadre de la loi de programmation sur la santé qui sera rapidement votée.

Quelles mesures prendrez-vous pour redresser l’attractivité des trois fonctions publiques ?

En rendant à l’État son autorité légitime, en garantissant à ses agents la protection et les conditions de travail qu’ils méritent, on rendra attractifs les emplois qu’il offre aux citoyens. La fonction publique hospitalière bénéficiera des moyens nouveaux que j’entends attribuer à l’hôpital public dans le cadre de la loi de programmation sur la santé qui sera rapidement votée. Quant à la fonction publique territoriale, son attractivité relève très largement de la compétence des collectivités elles-mêmes. Dans tous les cas, il faut rendre au service public ses lettres de noblesse, et cesser de le dénigrer ou de vouloir l’évincer systématiquement, mais en le rendant plus efficace, plus proche des préoccupations des citoyens et donc plus attractif pour ceux qui y apporteront leur talent en décidant d’y consacrer leur vie professionnelle.

Compte tenu des contraintes budgétaires des prochaines années, dans quel cadrage budgétaire inscririez-vous le rôle de l’État et sa réforme ?

Nous devons d’abord abandonner nos mauvaises habitudes ! Sans passer d’une position de cigale irresponsable à celle de fourmi avaricieuse, il est aujourd’hui nécessaire de s’engager dans une démarche de réduction progressive mais impérative du déficit budgétaire. C’est une question de souveraineté ! Je prévois ainsi de faire passer le déficit budgétaire en dessous de 3 % du PIB dès 2026. Loin de toute commission de la hache et de toute philosophie austéritaire, la progression des dépenses publiques (État, collectivités locales et organismes de sécurité sociale) est prévue en moyenne à + 2,1 % par an sur le quinquennat, légèrement au-dessus de l’inflation. Toute nouvelle dépense budgétaire trouve sa contrepartie dans des économies réalisées par ailleurs, en moyenne sur le quinquennat. Je prévois dans ce cadre une réduction du déficit budgétaire d’une quinzaine de milliards d’euros par an, malgré une progression des dépenses publiques d’une trentaine de milliards d’euros par an et la réduction programmée dans le temps du niveau des prélèvements obligatoires. 

Loin de toute commission de la hache et de toute philosophie austéritaire, la progression des dépenses publiques (État, collectivités locales et organismes de sécurité sociale) est prévue en moyenne à + 2,1 % par an sur le quinquennat.

Comment jugez-vous le niveau actuel de la dépense publique par rapport au PIB ?

Le niveau tout à fait excessif de la dépense publique et celui de notre endettement sont le résultat des politiques du “Mozart de la finance” élu en 2017. Je compte bien essayer de les redresser par tous moyens. Mon choix est de concilier un niveau de dépenses publiques qui réponde aux exigences de services publics de qualité sur tout le territoire ainsi qu’à la préservation de la protection sociale qu’appellent de leurs vœux les Français, tant en matière de santé, de retraites que de soutien des familles. Une gestion de bon père de famille présidera donc au pilotage des finances publiques, après quarante années de dégradation incontrôlée des agrégats budgétaires, économiques et financiers français. Ceci ne peut se faire que dans la durée et avec une détermination sans faille. Je propose donc de passer d’un poids de 55,7 % des dépenses publiques dans le PIB en 2022 au seuil symbolique de moins de 50 % de la richesse nationale dès 2027, sans qu’il n’y ait jamais de discontinuité dans le service public dû aux Français.

Que prévoyez-vous pour la gestion de l’endettement de l’État ?

Il est désormais impossible de replacer la France sur un chemin vertueux à compter de 2022 sans opter pour une stabilisation de la dette publique en proportion de la richesse nationale, car la réduction de la dette publique en proportion de la richesse nationale n’est malheureusement envisageable qu’au cours du mandat présidentiel 2027-2032, compte tenu de la situation actuelle éminemment dégradée du pays, après quatre décennies de gestion publique à la dérive, à bas bruit et sans que les Français en soient pleinement informés. Le choix est donc fait d’une stabilisation de la dette publique sur le quinquennat 2022-2027, à hauteur de 114 % du PIB. Une réduction progressive de la dette publique ne pourra être engagée avec l’objectif de passer à terme en dessous de 100 % du PIB qu’à partir de 2028. Il s’agit de ramener le pays dans une zone d’endettement renforçant son indépendance et exprimant sa souveraineté. Une décennie est à cet égard nécessaire pour réparer les quatre décennies précédentes d’impérities gouvernementales. Une détention nationale de la dette publique sera à cet égard privilégiée, tout en conservant une base solide d’investisseurs institutionnels internationaux.

La réduction de la dette publique en proportion de la richesse nationale n’est malheureusement envisageable qu’au cours du mandat présidentiel 2027-2032.

Qu’est pour vous la performance publique ? Modifieriez-vous la manière dont elle est appréhendée et mesurée dans la procédure budgétaire et dont les administrations doivent en rendre compte (programmes et rapports annuels de performance) ? La mesure de la performance doit-elle être budgétaire ou centrée sur l’usager ?

Quand on constate les dégâts causés à notre système de santé au nom de la “performance”, révélés par la crise sanitaire, on a le droit de demeurer réservé sur les dérives technocratiques auxquelles a conduit une forme de “culte de la Lolf”. Quand on observe l’incroyable passivité des pouvoirs publics à l’encontre des fraudes de toutes natures dans le secteur public ou parapublic, et bien souvent en liaison avec l’immigration incontrôlée et ses conséquences, on s’interroge sur le désintérêt manifeste en ces domaines pour toute forme de “performance”. Il faut donc savoir raison garder : à l’évidence, l’argent public doit être dépensé avec le plus grand discernement, car c’est l’argent des Français. Mais il est temps de redéfinir nos objectifs, et de ne pas sacrifier les politiques à long terme au bénéfice d’économies médiocres qui ne colmateront pas seules le tonneau des Danaïdes de nos déficits. J’entends bien agir en ce sens. Quant à centrer la performance sur l’usager, vous aurez compris que c’est pour moi une règle fondamentale ! Cela sera mis en œuvre pour toute politique ayant des conséquences directes sur la vie de nos concitoyens, et d’abord les plus faibles. 

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