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Lucila Modebelu : “Les jeunes agents continuent de faire confiance à l’action publique et d’en être fiers”

Dans cet entretien pour Acteurs publics, Lucila Modebelu, de l’association de jeunes agents publics FP21, met en avant l’optimisme des jeunes agents quant à la capacité des organisations publiques à s’adapter aux défis actuels.

Comment les jeunes agents publics se portent-ils en ce début d’année 2021 ? Sont-ils particulièrement impactés par le contexte actuel ?
Nous sommes bien sûr toutes et tous très impactés par le contexte actuel. En 2020, l’installation de la crise sanitaire a généré, ou plutôt révélé, une part d’épuisement et de lassitude chez les jeunes agents qui, au sein des établissements et administrations, ont très concrètement été confrontés aux dysfonctionnements organisationnels engendrés par cette déconnexion (amplifiée par la crise) qui peut encore exister entre une vision technocratique planificatrice des politiques publiques et la réalité des agents publics au quotidien. Pour autant, nos enquêtes révèlent que l’optimisme des jeunes agents quant à la capacité des structures publiques à s’adapter aux défis contemporains l’emporte. Les jeunes agents continuent de faire confiance à l’action publique et d’en être fiers. C’est sur ces bases que nous avons débuté l’année 2021. Et nous sommes nous-mêmes surpris de constater que l’engagement et l’engouement des jeunes agents restent importants, notamment sur tout ce qui a trait au partage de pratiques interfonctions publiques.

En gestion de crise, c’est « celui qui sait qui fait », que cette personne soit technicienne, directrice ou agente de manutention.

Les attentes et les pratiques des jeunes managers sont donc bousculées… 
Les attentes varient forcément selon les jeunes agents, mais nous pouvons souligner que la qualité des conditions de travail, le sentiment d’utilité et la possibilité de gagner rapidement en autonomie et en responsabilité influent directement sur la décision des jeunes agents de garder ou quitter leur poste à moyen et long termes. En ce qui concerne les pratiques managériales, l’usage accru des outils numériques, d’une part, et la prise de conscience que la dimension territoriale est un élément de réussite majeur dans l’exercice des missions de service public, d’autre part, bousculent évidemment les pratiques. Même si les jeunes managers apprennent désormais beaucoup plus leur métier dans cette optique que ne pouvaient le faire les anciennes générations. Il nous apparaît aussi primordial de mieux valoriser la compétence par rapport à un statut ou à un niveau dans la chaîne hiérarchique. En gestion de crise, c’est “celui qui sait qui fait”, que cette personne soit technicienne, directrice ou agente de manutention. Et ça marche. Cela suppose de savoir aussi se positionner en mode projet, de savoir naviguer dans un espace qui se situe en dehors de l’organigramme. Cela s’apprend et surtout, s’expérimente !

Quid des hauts potentiels ? Que pensez-vous du programme “talents du service public” ?
Nous avons eu plusieurs sollicitations de membres sur les sujets relatifs à la gestion des hauts potentiels intellectuels (HPI) et profils atypiques au sein de la fonction publique. Nous pouvons constater que cette thématique quasiment démocratisée dans le débat public ne l’est que trop peu ou bien de façon inégale dans les différentes écoles, administrations, institutions et établissements publics au sein desquels les agents publics évoluent. C’est un enjeu de gestion qui fait collectivement référence à notre rapport à l’altérité, mais aussi et surtout aux modalités de recrutement et d’accompagnement des jeunes agents. Ces modalités sont perfectibles ou du moins à questionner. Les épreuves de concours telles qu’elles sont faites, le contenu des formations ou bien les classements de sortie permettent-ils aux jeunes agents publics, une fois en poste, de déployer l’étendue de leur potentiel en termes d’innovation et de créativité ? Les rigidités statutaires que nous connaissons permettent-elles de valoriser les primo-entrants dans l’exercice de leurs missions et dans l’évolution de leurs carrières ? Le programme “Talents du service public” est ambitieux et si effectivement il permet de renverser significativement la tendance de l’autocensure et des inégalités d’accès à la fonction publique, ce sera une réussite. Toutefois, nous pensons que l’enjeu majeur d’accès à la fonction publique se situe bien avant la sélection en classe préparatoire. C’est dans les premières années du collège, voire avant, que les élèves devraient être plus massivement sensibilisés à la fonction publique. 

Ce quotidien nous apprend que la réflexion est, ou doit être, permanente pour conserver la hauteur de vue nécessaire à la conduite des changements et éviter l’écueil du pilotage automatique.

On attend les annonces du gouvernement concernant plus largement la formation des hauts fonctionnaires, leurs parcours, leurs carrières… Qu’en espérez-vous ? 
Nous saluerons les mesures qui iront dans le sens d’un décloisonnement franc entre les corps, du développement d’une culture commune et d’une réflexion transverse entre les fonctions publiques hospitalière, territoriale et d’État, ainsi que d’un accès facilité à la fonction publique. Parce que ces 3 axes sont les raisons d’être et l’objet même de FP21 depuis sa création en octobre 2017. 

Votre association avait pour ambition de réfléchir à la fonction publique du XXIe siècle. Sur la base de la situation actuelle, comment voyez-vous cette “FP21” ?
Cette fonction publique du XXIe siècle, nous la voyons en premier lieu, au quotidien, dans l’exercice de nos fonctions. Ce quotidien nous apprend que la réflexion est, ou doit être, permanente pour conserver la hauteur de vue nécessaire à la conduite des changements et éviter l’écueil du pilotage automatique. Si la dimension collective est incontournable quand il s’agit de réfléchir à la fonction publique que nous voulons, nous faisons aussi le constat qu’il existe une part individuelle non négligeable dans toute volonté de transformation. Ce que les membres du réseau de FP21 trouvent dans notre espace associatif, c’est l’opportunité de questionner sans entraves et sans réserves ce quotidien. Les membres trouvent aussi les moyens pour transformer leurs pratiques et faire émerger à leur échelle les transformations qu’ils souhaitent incarner sur le terrain. C’était tout le sens des Avant-premières de l’action publique, événement porté par l’association, dont la première édition a eu lieu en novembre dernier. Nous avons voulu permettre à de jeunes porteurs de projets innovants de bénéficier d’un atelier d’accompagnement pour les aider à réaliser, à améliorer, à partager ou encore à faire connaître leurs projets inscrits dans des thématiques que nous considérons comme essentielles à la fonction publique du XXIe siècle : management et diversité, gestion de crise, écologie, ruralité… 

Comment abordez-vous la séquence présidentielle et comment faire pour que les enjeux d’action publique soient au cœur de la campagne ?
Il y a déjà de nombreuses associations qui portent des sujets à forts enjeux d’action publique. Il y a aussi les organisations syndicales qui se chargent plus spécifiquement de défendre des intérêts propres à certaines catégories de métiers ou de secteurs. À côté de cela, il y a aussi des collectifs qui existent ou qui émergent, qui sont dédiés à la défense d’un service public en particulier ou des services publics en général. Nous pensons que ces dynamiques doivent être encouragées. Le gouvernement actuel a fait le choix de nommer un ministre en charge de la Participation citoyenne [Marc Fesneau, ndlr]. C’est un signal très fort et nous pensons que les associations et collectifs sont un levier au cœur du processus visant à favoriser la participation citoyenne et permettre de concevoir une politique publique adaptée aux réalités de terrain. 

Propos recueillis par Sylvain Henry 

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