Partager

7 min
7 min

Les inspections interministérielles en passe d’être intégralement fonctionnalisées

Selon nos informations, les corps de l’inspection générale des Finances, de l’inspection générale de l’Administration et de l’inspection générale des Affaires sociales devraient être supprimés, mais leurs services maintenus. Une mesure très symbolique qui présente un enjeu : le niveau d’information critique dont le politique disposera à la tête de l’État à l’issue de la réforme.

Émoi dans le marigot des inspections interministérielles. Selon nos informations, l’inspection générale des Finances (IGF) de Bercy, l’inspection générale de l’Administration (IGA) du ministère de l’Intérieur et l’inspection générale des Affaires sociales (Igas) des ministères sociaux se sont vu confirmer la semaine dernière par le gouvernement ce qu’elles pressentaient déjà depuis quelques jours : le Président Macron a décidé qu’elles seraient intégralement fonctionnalisées. Il se profile une mise en extinction de ces 3 corps, c’est-à-dire qu’ils ne seraient plus alimentés par du “sang neuf”.

Les membres actuels ne seraient donc pas reclassés, mais garderaient leur statut actuel en vertu du principe juridique dit de confiance légitime : on ne change pas drastiquement les règles du jeu en cours de carrière. Un peu comme pour les cheminots de la SNCF, dont le statut a été mis en extinction au début du quinquennat. L’analogie est des plus symboliques. Le corps s’éteindrait, de fait, avec le départ en retraite du plus jeune, soit dans plus de quatre décennies. Quoi qu’il en soit sur le plan des ressources humaines, les services d’inspection ne seront pas pour autant supprimés. Car aujourd’hui, une inspection, c’est à la fois un service et un corps. Le sujet, archisensible et ô combien politique, peut toutefois évoluer à tout moment.

Derrière le terme abscons de “fonctionnalisation”, il s’agit tout simplement de n’y permettre le recrutement qu’en détachement et pour une durée limitée alors que l’on peut aujourd’hui y faire carrière toute sa vie : c’est la logique de la fonction publique de corps plutôt que d’emploi. Il s‘agit aussi de s’attaquer au phénomène de la rente, souvent dénoncé, notamment par le Président. On peut aujourd’hui entrer dans ces corps d’inspection très jeune, à l’issue d’un passage à l’ENA dont on est sorti bien classé. Avec, tout au long de la carrière, le choix d’y travailler ou de partir ailleurs, mais aussi avec l’assurance de pouvoir rentrer au “bercail” au moindre coup de grisou. Indépendamment de l’effet réseau induit par une faible volumétrie du corps, l’avancement y est automatique, selon une grille indiciaire commune aux 3 corps.

Outil de renouvellement et de diversification

Dans cette haute fonction publique de l’État balkanisée et à plusieurs vitesses, l’appartenance à ces corps confère un avantage de carrière important, alors que d’autres pans de l’encadrement supérieur (les postes de management, par exemple) sont déjà soumis à la fonctionnalisation : on y est nommé sur des durées limitées et différentes selon que l’on est, ou non, primonommé. À l’issue, on réintègre son corps d’origine et on perd les avantages afférents au poste, en particulier les primes (tout ou partie). De fait, les promoteurs de la fonctionnalisation y voient généralement un outil de renouvellement et de diversification des équipes.

Pour réformer les corps d’inspection, le président de la République disposait de plusieurs options : il pouvait acter une fonctionnalisation partielle, ciblée sur le début de carrière et qui aurait permis de retarder l’accès à ces corps d’inspection à un certain stade : on y serait entré plus vieux et d’abord en détachement, sans perspective d’intégration définitive et automatique dans les corps à l’issue. Dans cette hypothèse, les corps auraient été maintenus. Le chef de l’État n’a pas retenu cette option et privilégié celle, plus crantée, que lui avait suggéré Frédéric Thiriez dans son rapport sur la réforme de la haute fonction publique : la fonctionnalisation totale, avec la disparition de ces corps.

Un symbole politique de plus après la suppression de l’ENA et son remplacement par un nouvel établissement. Le Président atteint ainsi pour partie l’objectif politique énoncé en avril 2019 : supprimer les grands corps. Il en tue un : l’IGF, son corps d’origine, et qui est par ailleurs le plus décrié. L’IGA et l’Igas sont atteintes par ricochet dans la mesure où leur format et leur vocation (interministérielle) sont les mêmes que ceux de l’IGF. Le Conseil d’État et la Cour des comptes – des corps juridictionnels – sont quant à eux sauvés car la logique de la fonctionnalisation ne pouvait juridiquement leur être appliquée.

Enjeu de l’indépendance

La fonctionnalisation intégrale des inspections ne se fera pas ressentir immédiatement. Il faudra attendre plusieurs années au cours desquelles on verra progressivement, au gré de la pyramide des âges de ces corps et des départs en retraite, le ratio emplois du corps/emplois fonctionnels évoluer. Les inspections accueillent déjà aujourd’hui des agents qui ne sont pas membres du corps. À l’Igas par exemple, trois quarts (74 %) des membres du service appartenaient en 2019 au corps de l’Igas. Les autres exerçaient dans le cadre d’un détachement, d’une mise à disposition ou d’une nomination en “service extraordinaire”, c’est-à-dire souvent pour une durée de cinq ans.

La fonctionnalisation intégrale des inspections pose une question de fond que l’on pourrait résumer ainsi : peut-on s’attaquer à la rente sans s’attaquer à l’indépendance ? Dit autrement, la rente est-elle, dans le cas des inspections, consubstantielle à leur indépendance ? Avec à la clé un enjeu autour du niveau d’information critique dont le politique dispose à la tête de l’État et qui repose déjà aujourd’hui sur un équilibre fragile. “Lorsque l’on occupe un emploi fonctionnel, le but reste d’obtenir à la sortie un autre emploi fonctionnel et donc d’accomplir pour cela des choses qui plaisent au Prince… Je suis bien placé pour vous en parler puisque j’occupe moi-même un emploi fonctionnel ! lance un sous-directeur dans un ministère. Le but d’une inspection, c’est de dire, dans le cadre de rapports, pour l’essentiel, confidentiels : « Voilà ce qui ne s’est pas bien passé et où sont les problèmes ». Même si ce n’est pas ce que le politique veut entendre. Sur mon emploi actuel, je peux bien sûr faire part d’une remarque importante sur tel ou tel dossier à mon supérieur direct. Mais s’il ne partage pas mes positions, on en restera là et ma remarque ne remontera pas. Dans une inspection, au contraire, vous intégrerez la remarque dans le rapport et elle parviendra au cabinet du ministre.”

Dans le monde des inspections, le projet de fonctionnalisation intégrale ravive le souvenir de certaines affaires ayant défrayé la chronique : par exemple, l’affaire Steve Maia Caniço, du nom de cet animateur périscolaire de 24 ans qui a péri noyé dans la Loire le 21 juin 2019 lors de la fête de la musique organisée à Nantes et marquée par une intervention policière. Avec une question sensible posée : existait-il un lien de causalité entre la charge de la police sur le quai Wilson et la chute du jeune homme dans le fleuve ?

Dans son rapport, l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) a conclu à l’absence de faute, quand l’IGA a pointé, dans un autre rapport produit deux mois plus tard, un manque de discernement dans la conduite de l'intervention de la police ce soir-là. Deux prismes de lecture différents. “On pourra toujours objecter que les 2 inspections n’ont pas les mêmes prérogatives et que l’IGPN ne pouvait pas remonter toute la chaîne de responsabilité (interroger le corps préfectoral, notamment), mais comment ne pas y voir aussi la conséquence d’une IGPN à l’indépendance affaiblie par son statut d’emploi ? s’interroge un haut fonctionnaire en rappelant que les agents de l’IGPN y officient pour une durée déterminée et visent, à la sortie, des postes de directeurs dans les départements ou les régions, dans le giron de la direction générale de la police nationale.

Cadre législatif

Et le même de s’interroger : “Si demain l’IGA n’a plus cette indépendance du corps, est-on sûr que les inspecteurs concluront à la responsabilité de la police comme cela a été fait pour cet événement tragique ?” Du point de vue de l’État, le jeu de la fonctionnalisation intégrale des inspections n’en vaut la chandelle que si le pouvoir macronien parvient à mettre sur pied un système de gestion des carrières adéquat. L’indépendance ne constitue pas le seul enjeu, l’expertise métier en est un autre.

L’exécutif assure que le sujet n’est pas pris à la légère et que liberté de plume des inspecteurs est centrale, tout comme l’attractivité des inspections. De fait, les discussions avec les corps d’inspection battent leur plein ces jours-ci afin de déterminer ce qui doit être écrit dans l’ordonnance, en sachant que celle-ci a vocation à poser un cadre législatif complété, par la suite, de textes réglementaires qui auront tout autant leur importance. Car le diable se niche dans les détails. Il n’y a qu’à voir le degré de précision des décrets fixant le statut actuel des inspections et des inspecteurs (les modes de nomination, notamment) pour s’en rendre compte. “L’indépendance des inspections sera inscrite dans l’ordonnance pour leur donner un cadre législatif qui leur faisait défaut jusqu’alors, indique-t-on dans l’entourage de la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin. Il n’y avait jusqu’ici aucune disposition dans la loi qui consacrait l’indépendance de plume. On doute fortement que le précédant système permettait d’avoir des garanties d’indépendance. Ce sera le cas dans l’ordonnance. Il s’agit d’un acte politique fort. Mais les modalités pratiques sont en cours de définition.”

Sur le fond, le gouvernement replace la question de la sortie des inspections fonctionnalisées dans le cadre d’une vision interministérielle des choses conforme à la philosophie macronienne : une conception élargie des parcours et une gestion interministérielle de l’encadrement supérieur beaucoup plus affirmée. Ce qui a commencé à transparaître dans l’ordonnance au travers de l’article consacré aux lignes de gestion, désormais édictées par le Premier ministre et non plus par ses ministres. La création prochaine d’une délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) est présentée par le gouvernement comme “une autorité tierce”, qui serait pour l’agent un interlocuteur différent de sa hiérarchie ministérielle, avec laquelle traiter la suite de son parcours.

Traiter, oui mais jusqu’où ? “La Diese sera une délégation interministérielle de RH, à Matignon et sera le chef de corps de tout le monde, entre guillemets, affirme une source au sein du pouvoir. La Diese passera au-dessus des RH ministérielles. Évidemment, beaucoup de questions pratiques se posent, dont certaines ne sont pas tranchées.” En pratique, ce projet pourrait poser la question du degré d’affirmation interministérielle dans les processus de nomination.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×