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“Les candidats doivent se souvenir qu’ils seront le ou la chef(fe) de 6 millions d’agents publics”

Laure de La Bretèche, Émilie Agnoux et Matthieu Girier, membres du think tank Sens du service public, invitent les aspirants à l’Élysée à se positionner sur le modèle d’action publique et de services publics qu’ils entendent développer. Le think tank publie un manifeste de 18 propositions.

De gauche à droite : Émilie Agnoux, Laure de La Bretèche et Matthieu Girier.

Pourquoi ne parle-t-on pas suffisamment de notre modèle de fonction publique dans cette campagne ? Que faut-il faire pour mobiliser davantage les candidats sur ce sujet ?
Laure de La Bretèche :
D’une certaine façon, c’est l’histoire de l’arroseur arrosé : comment rassembler les Français sur un projet pour la fonction publique quand les discours négatifs (“dégraisser le mammouth”, “bureaucratie”, “mille-feuille” administratif et politique…) ont pris le pas sur tout ? Les candidats se sont piégés eux-mêmes dans des questions portant sur le nombre de postes à supprimer et une réforme-modernisation de principe, assez théorique. Or leur approche ne correspond pas du tout à la priorité des Français, qui réclament des services publics de proximité et des agents pour opérer ces services. Trois Français sur 4 viennent de dire que, au cœur d’une crise majeure, les services publics ont été à la hauteur, et on leur propose de supprimer des postes d’agents publics… Nous pensons qu’il y a deux ressorts qui font défaut, ce qui empêche toute vision du futur. Premièrement, les candidats à la présidentielle ont perdu de vue la raison d’être de la fonction publique sous ses 3 formes (État, territoriale et hospitalière) : servir le pays, du matin au soir et parfois du soir au matin. Ils ne font plus le lien entre leur aspiration à la Présidence et la mission qui en découle : devenir chef(fe) de ces 6 millions d’agents publics. Le deuxième ressort manquant, c’est un projet mobilisateur à proposer à ces agents, avec des priorités pour faire de leurs missions des leviers d’action du quinquennat. Pour faire face aux crises à venir, pour relever le défi colossal du changement climatique, pour répondre aux besoins des territoires, pour offrir des services de santé à la hauteur du vieillissement de la population, peut-on sérieusement se passer des agents publics et ne faudrait-il pas d’ores et déjà les appeler à se préparer ?

La plupart des préconisations que nous faisons peuvent se mettre en place très rapidement, à droit constant et sans repartir sur un énième audit des politiques publiques ou une grande loi sur la fonction publique.

Vous demandez donc aux candidats de se positionner clairement ? Au-delà de la vision d’avenir du service public que vous appelez de vos vœux, attendez-vous des positions concrètes, par exemple sur l’avenir du statut, la clarification des missions, l’externalisation… ?
Émilie Agnoux :
Nous avons créé un think tank autour de la notion de sens à redonner aux missions des services publics. C’est bien toute la difficulté dans laquelle nous sommes aujourd’hui : à force de “réformes” centrées sur la réduction rapide des coûts directs et d’importation de règles managériales inadaptées, nous avons perdu le sens de la relation, des missions, des valeurs, du fonctionnement propres au périmètre de l’action publique. L’enquête menée par le collectif Nos services publics l’a très bien démontré. Cela suppose d’engager des changements d’approche radicaux, car il s’agit de traiter des dysfonctionnements de nos administrations, en repartant des besoins concrets à satisfaire, en associant les agents et les citoyens, en enrichissant les indicateurs de pilotage des administrations et en s’intéressant de plus près aux impacts réels de l’action publique. Tout commence par les objectifs que l’on fixe aux administrations et la manière dont on veut délivrer le service public. Nous sommes convaincus que la valeur du service public repose avant tout sur la qualité de la relation humaine, l’écoute démocratique, l’exemplarité écologique et sociale, la proximité et l’accessibilité. Bien sûr que sur tous ces sujets, nous attendons des positions claires de la part des candidats et candidates, mais nous rappelons aussi que nombre d’orientations stratégiques doivent se débattre dans un cadre démocratique, au sein du Parlement mais aussi avec des processus délibératifs enrichis avec les citoyens. Ce sont des choix fondamentaux, ils engagent notre quotidien et notre avenir. De notre côté, nous proposons des principes d’action et des outils concrets, dont certains sont déjà expérimentés, pour améliorer rapidement la qualité réelle et ressentie des services publics : comment rapprocher les services publics des Français, redonner confiance et améliorer la relation entre les citoyens et les agents publics ? Comment mieux penser et accompagner la dématérialisation ? Quelles formations pour les agents publics ? Comment relancer l’ascenseur social et rendre les fonctions publiques plus attractives et inclusives ? Comment faire des administrations des modèles en matière d’écologie ? La plupart des préconisations que nous faisons peuvent se mettre en place très rapidement, à droit constant et sans repartir sur un énième audit des politiques publiques ou une grande loi sur la fonction publique. Ce qui est fondamental, c’est de partir du principe de confiance envers les agents publics pour leur redonner d’urgence des marges de manœuvre opérationnelles et adapter la manière de servir à chaque configuration particulière. 

En matière de fonction publique et d’action publique, que devra trancher en priorité, selon vous, la ou le gagnant(e) du scrutin dans les cent jours qui suivront l’élection ?
Matthieu Girier :
Poursuivant l’objectif de redonner du sens, les deux impératifs à remplir dans les cent premiers jours de la Présidence qui vient se centreront sur la définition claire du socle de valeurs qui guidera le réordonnancement des services publics, tout en envoyant des signaux visibles et pragmatiques, à droit constant, qui parlent aux agents publics et aux citoyens. Notre manifeste en comprend plusieurs, dont la mise en œuvre serait à la fois porteuse d’un message d’engagement fort et la démonstration que le changement ne repose pas forcément sur des grands plans structurels – chacun, à notre niveau, nous pouvons nous saisir de la modernisation du service public et de la fonction publique. Ce qui est certain, c’est qu’après deux ans de crise épidémique, les agents publics ont besoin d’un message fort : celui que leur engagement n’a pas été vain dans cette période compliquée, celui que, au-delà de la seule question de la rémunération, comprendre et œuvrer pour résoudre les difficultés qui sautent aux yeux des acteurs de terrain, au contact des besoins des citoyens, constitue une priorité. Et ce message fort, les citoyens ont également besoin de l’entendre, comme une pierre d’angle du retissage du lien social.

Propos recueillis par Sylvain Henry

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Club des acteurs publics

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