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Le numérique en santé face au défi des usages

Promis initialement pour 2007, le carnet de santé numérique des Français est enfin devenu une réalité avec le lancement de Mon espace santé début 2022. Mais son appropriation globale, tant par les professionnels de santé que par les usagers, reste une grande inconnue.

Vous êtes en vacances et prenez rendez-vous chez un médecin qui n’est pas votre médecin traitant. D’un simple clic pour se connecter à votre espace santé numérique, il prend connaissance de vos précédentes consultations chez différents spécialistes et peut décider, en connaissance de cause, du bon traitement à vous prescrire. Au comptoir de la pharmacie, inutile de présenter votre ordonnance, le pharmacien y a directement accès et peut vous fournir les bons médicaments. Et rien de tout cela n’échappera à votre médecin traitant. Telle est la promesse portée par le partage de données et documents de santé au sein d’un carnet dématérialisé.

Une vielle lubie qui s’est finalement concrétisée en 2019 avec le dossier médical partagé (DMP), finalement absorbé par Mon espace santé début 2022. Un nouveau service créé pour agglomérer le DMP mais aussi différentes fonctionnalités, comme une messagerie sécurisée, un catalogue d’applications et un agenda, pour centraliser les rendez-vous, mais aussi, demain, envoyer des notifications personnalisées.

Il aura donc fallu près de vingt ans pour donner vie à ce carnet de santé numérique, prévu initialement pour 2007 et qui commence tout juste à porter ses fruits. Dans une note de 2021, la Cour des comptes estime que sa mise en place, associée à différents autres services clés comme l’ordonnance numérique ou la téléconsultation, pourrait générer des économies importantes mais non mesurées, que ce soit en réduisant les “difficultés d’accès aux soins et [en économisant] des dépenses de transport, grâce au développement des consultations et des expertises à distance”, en évitant les “examens redondants lorsque le patient est pris en charge par un autre médecin ou établissement” ou bien encore en prévenant les hospitalisations pour cause de mauvais cocktails médicamenteux, faute d’information exhaustive sur les traitements et allergies du patient.

Mener le chantier technique à son terme

L’intérêt de Mon espace santé est indéniable pour éviter aux professionnels de santé de partir à la pêche aux informations et faciliter leur collaboration les uns avec les autres, au bénéfice des patients, dont la prise en charge sort finalement améliorée d’une meilleure coordination des soins, d’autant qu’il leur redonne le contrôle de leurs informations médicales, s’ils veulent solliciter un second avis.

Le carnet de santé numérique enfin sorti de terre, sa réussite est encore loin d’être acquise. Si le principal frein sa généralisation a été levé par l’ouverture automatique d’un compte pour chaque Français à partir de début 2022, sa mise en œuvre ne doit pas aboutir à une paperasse numérique, une “taperasse” qui, plutôt que de simplifier la vie des soignants, rajouterait des clics et des contraintes pour mettre les informations au pot commun. Ce qui pose, au passage, la question du renouvellement des métiers et responsabilités des secrétaires médicales et assistants médicaux et, plus largement, des infirmières d’accueil des hôpitaux, ces dernières n’étant pas habilitées à consulter et alimenter les dossiers numériques.

Transformer l’essai par les usages

Le chantier bénéficie pour cela, nous le verrons, d’un coup d’accélérateur sans précédent avec le “Ségur du numérique”, pour remplir ces dossiers de la façon la plus automatique et donc la plus fluide possible, supprimant les redondances et doubles saisies, qui grignotent du temps et génèrent de la frustration : tout ce qui paralysait l’utilisation du DMP. En passe de devenir réalité, cette alimentation automatique doit encore aller à son terme, pour couvrir l’intégralité des professions de santé, des médecins généralistes aux sages-femmes, en passant par les radiologues, les praticiens hospitaliers et les dentistes. Et vérifier qu’aucun bug technique ou souci d’ergonomie ne subsiste.

Le plus dur reste peut-être à venir. “Tout se joue maintenant”, estime le responsable du “Ségur du numérique” à la délégation du numérique en santé, Olivier Clatz, selon qui il est encore trop tôt pour déterminer si ce nouveau service rencontrera vraiment les usages, du côté des professionnels de santé comme des usagers. “Le temps nécessaire au développement des usages doit être respecté, mais aussi encouragé et accompagné”, préviennent néanmoins les sociologues Alexandre Mathieu-Fritz et Nicolas Klein.

Il faut donc “donner du temps au temps”, mais aussi tout faire pour développer les usages autour des documents injectés dans Mon espace santé. Certains établissements pionniers ont déjà pris les devants pour ne pas se contenter d’alimenter les dossiers, mais aussi pouvoir les consulter. C’est le cas du centre hospitalier d’Avignon, du pôle Saint-Hélier, ou encore de la clinique Pasteur de Toulouse, dont la maturité sur le sujet ne doit rien au hasard puisque c’est son ancien directeur, Dominique Pon, qui a élaboré la stratégie numérique du ministère et été chargé de sa mise en œuvre de 2019 à 2022. Là-bas, la clinique s’est tout entière adaptée pour intégrer Mon espace santé dans son organisation, faisant évoluer au passage le métier des secrétaires médicales, pour à la fois remplir les dossiers et y puiser les informations utiles au séjour de chaque patient. Ces quelques pionniers devront être suivis par l’ensemble des hôpitaux, établissements médico-sociaux, laboratoires de biologie et par les médecins libéraux, parmi les plus réticents.

Mon espace santé doit aussi emporter l’adhésion des Français, bien au-delà de la seule démarche d’activation de leur compte, pour s’inscrire dans leurs usages quotidiens. Mais ce n’est, finalement, plus le nerf de la guerre. À moins que le patient se soit explicitement opposé à la création de son compte Mon espace santé, les professionnels de santé pourront toujours s’en servir pour y puiser des informations utiles à la prise en charge, même si le patient en face n’a même pas connaissance de son existence. Le décollage de Mon espace santé est donc désormais moins un chantier technique que de conduite du changement.

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