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“La Cour des comptes contrôlée par le citoyen ?”

Dans l’ouvrage Conter demain, Cour des comptes et démocratie au XXIe siècle, publié par la Fondation Jean-Jaurès aux éditions de l’Aube, les magistrates Adeline Baldacchino et Camille Andrieu, membres de l’institution de la rue Cambon, détaillent leur vision de celle-ci : une vigie de l’action citoyenne. Morceau choisi.

Camille Andrieu (à gauche) et Adeline Baldacchino (à droite), auteures de “Conter demain, Cour des comptes et démocratie au XXIe siècle”.

À l’heure de la transparence et de l’exemplarité, une question sensible s’impose nécessairement à l’esprit de tous ceux qui travaillent avec ou au sein de la Cour des comptes : qui contrôle le contrôleur ? Étonnamment, il n’est pas si simple d’y répondre. Il faut pourtant le tenter, quitte à s’aventurer sur des chemins de traverse institutionnels. L’histoire longue des juridictions financières justifie bien des hésitations quant à la meilleure manière de n’être ni sous tutelle ni en roue libre ; de rester indépendante sans devenir opaque ; de préserver son autonomie tout en garantissant que celle-ci demeure au service du citoyen. La Cour, pour être forte, c’est-à-dire audible, doit donc être à la fois inattaquable, insoupçonnable et irréprochable. Dans le même temps, pour être tout cela, elle doit inviter à des regards extérieurs qui lui renvoient autre chose que son beau reflet dans le miroir.

Si le balancier penche trop du côté de l’exécutif (…), la Cour risque la soumission, l’instrumentalisation et finalement le détournement de son usage démocratique.

Il y a donc plusieurs manières d’envisager la question. Toutes nous ramènent à l’impératif éthique du funambule : aller sur le fil, c’est se refuser au vertige qui guette, fermer les yeux devant la tentation du vide, avancer pas à pas, en confiance, sur le fil que le pied apprivoise jusqu’à le connaître mieux que le sol. Si le balancier penche trop du côté de l’exécutif, qui pourrait par exemple censurer son programme de travail, réduire son budget, contrôler totalement ses nominations, la Cour risque la soumission, l’instrumentalisation et finalement le détournement de son usage démocratique. Si le balancier penche trop du côté du législatif, qui voudrait dicter ce même programme, flécher son budget ou valider ses nominations, la Cour peut devenir l’alibi ou le jouet des batailles partisanes, celle que l’on missionne pour mettre en difficulté un gouvernement, régler un différend politique, saboter un projet. Les Assemblées votent bien entendu le budget annuel des juridictions financières, de l’ordre de 220 millions d’euros, finançant pour l’essentiel des charges de personnel, mais n’ont qu’une influence limitée sur la programmation des contrôles, à travers la faculté qui leur est ouverte par la Constitution de commander ponctuellement des rapports d’enquête à la Cour. Surtout, elles ne disposent pas du droit de contrôler la gestion et le fonctionnement des juridictions financières. Qui donc, en ce cas, pour le faire ?

Un autre facteur joue un rôle important : c’est l’organisation en chambres thématiques, donc de fait en silos managériaux, de l’institution.

Comme toujours, l’usage et la coutume se substituent facilement aux règles absentes. En l’espèce, comme beaucoup de juridictions étrangères, la Cour a essentiellement pratiqué le “contrôle par les pairs” : il s’agit de confier à une Cour des comptes ou un Audit Office, selon les cultures, la charge d’examiner une série de sujets et de rendre un rapport circonstancié, comprenant des recommandations. Le bât peut blesser en plusieurs points. D’une part, lesdits rapports ne sont pas toujours rendus publics. D’autre part, la qualité de ces interventions fluctue largement en fonction de considérations extérieures aux personnes missionnées elles-mêmes : la durée nécessairement limitée de ces travaux, le peu de familiarité des auditeurs avec les institutions françaises, la définition même du périmètre de contrôle et la politesse naturellement due aux circonstances diplomatiques de ce type d’exercice ne garantissent pas toujours le courage des conclusions. Reste la possibilité pour la Cour de diligenter elle-même, ponctuellement, des audits internes, solution à laquelle les Premiers présidents ont finalement peu recours dès lors qu’ils souhaitent, bien légitimement, asseoir la paix sociale.

Ne s’intéresser qu’aux processus financiers n’apporterait qu’une plus-value limitée.


Car un autre facteur, peu connu du grand public, joue un rôle important : c’est l’organisation en chambres thématiques, donc de fait en silos managériaux, de l’institution. Chaque chambre constitue une entité largement autonome, d’où il résulte d’incessants et plus ou moins amicaux, mais néanmoins virulents conflits de frontières, des mises en concurrences implicites, des velléités solitaires d’innovations ou, a contrario, des conservatismes implicites au nom de traditions informelles. La Cour n’échappe évidemment à aucune des contingences de la vie administrative et, bien que l’obligation d’exemplarité qui est la sienne figure sans doute plus qu’ailleurs dans les esprits, elle est soumise, comme tout organisme vivant, aux aléas de l’existence. Bref, le fait que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes ne garantit pas assez que tout ira pour toujours ainsi : c’est la raison pour laquelle des voix s’élèvent régulièrement (bien que délicatement), de l’intérieur même de l’institution, pour suggérer quelques-unes des pistes de progrès que nous aimerions analyser ici.

La première option offre l’avantage de la simplicité, mais recèle peut-être un piège. Il s’agirait de confier aux parlementaires une mission de contrôle annuelle de la Cour des comptes, miroir de celle – très limitée en réalité dans ses termes, exclusivement comptables et financiers – que la Cour exerce sur le Parlement, à sa demande. Or, une telle mission n’irait pas assez loin, selon nous. Ne s’intéresser qu’aux processus financiers n’apporterait qu’une plus-value limitée : ce que l’on appelle “certification” des comptes ne vise en effet qu’à apprécier la conformité d’états financiers à un référentiel comptable, mais ne porte pas sur la gestion des moyens mobilisés pour assurer le fonctionnement d’un organisme, pourtant tout aussi importante. Au demeurant, une telle mission ne relèverait pas des compétences naturelles du Parlement et de ses députés et administrateurs, qui n’ont pas vocation de commissaires aux comptes… 

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