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Jean-Ludovic Silicani : “Pour un régime de rémunération plus clair et plus juste dans la fonction publique”

Alors que le gouvernement Borne prépare une réforme du système des carrières et des rémunérations des agents publics, Jean-Ludovic Silicani, ancien commissaire à la réforme de l’État et auteur en 2008 du “Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique”, plaide pour un système plus lisible. “La masse salariale chargée des trois fonctions publiques, égale actuellement à environ 12 % du PIB, devra un peu augmenter, estime-t-il. Mais, pour une fois, profitons de cette augmentation pour mener une réforme globale de clarification et de justice !”

Comme je l’écrivais déjà en 2008, dans le “Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique”, le régime des rémunérations des agents publics doit être revu profondément. En effet, indépendamment du niveau des rémunérations, sujet sur lequel je reviendrai, c’est la structure même de celles-ci qui est inadaptée car sa complexité (des centaines de primes à la finalité et à l’appellation opaques) rend ce régime illisible et injuste. C’est une des causes des insuffisances tant de la gestion des ressources humaines publiques que de l’action publique.

Revenons aux fondamentaux. Depuis 1946, les statuts successifs de la fonction publique ont fait de la distinction du grade et de l’emploi (c’est-à-dire de la fonction occupée par un agent public) une caractéristique essentielle du régime de la fonction publique (cf. actuel article L.411-5 du code général de la fonction publique). Le grade est un élément déterminant du statut de l’agent, depuis son recrutement et tout au long du déroulement de sa carrière. La fonction, déterminée notamment par les besoins du service public, voit son contenu et sa localisation varier dans le temps. Autrement dit, un l’agent public est “propriétaire” de son grade et “locataire” de sa fonction.

Ainsi, 2 agents ayant le même grade occupent souvent des fonctions différentes. Cette situation conforme, on l’a vu, au statut général a été complétée par le décret en Conseil d’État et en Conseil des ministres du 13 avril 2008 qui prévoit que tous les agents de l’État peuvent être affectés (donc sans qu’il soit besoin ni de les détacher ni de les mettre à disposition) dans l’ensemble des services de l’État et de ses établissements publics. Saisi d’un recours, le Conseil d’État a confirmé la légalité de ce décret.

J’ai proposé que la rémunération des agents publics comprenne 3 éléments : la rémunération de son grade, celle de sa fonction et enfin celle de son engagement.

Des agents de même grade pouvant exercer des fonctions différentes, et ceci de façon croissante au fur et à mesure du déroulement de leur carrière, il est nécessaire de prendre en considération ces deux paramètres (le grade et la fonction) pour déterminer la rémunération d’un agent public. La rémunération du grade est déterminée par l’indice. La rémunération fonctionnelle pourra l’être à partir des répertoires des métiers de la fonction publique, dont des premières versions ont déjà été élaborées et qu’il faut parachever. Cette rémunération fonctionnelle permettra notamment de prendre en considération le coût de la vie du lieu d’exercice de la fonction, en recréant des zones sur la base des données de l’Insee.

Enfin, à grade et fonction égaux, 2 agents peuvent légitimement faire le choix d’une implication et d’un engagement différents dans l’exercice de leur fonction, et ceci de façon variable dans le temps. C’est pourquoi j’ai proposé que la rémunération des agents publics comprenne 3 éléments : la rémunération de son grade, celle de sa fonction et enfin celle de son engagement. Il en résulterait une fiche de paye simple et lisible par chacun.

Dès son recrutement, la rémunération de l’agent doit comprendre la composante liée à son grade et celle liée à sa fonction. C’est l’addition de ces deux composantes qui constitue sa rémunération de début de carrière. La troisième composante n’apparaîtra qu’au bout d’une année d’activité. Cette composante liée à l’engagement pourra avoir un caractère individuel ou collectif si les résultats sont appréciés au niveau d’une équipe ou d’un service. Elle viendrait compléter la rémunération fonctionnelle de l’agent.

Il apparaît nécessaire que les 3 composantes de la rémunération génèrent des droits à pension. Mais, contrairement au déroulement obligatoirement ascendant de la carrière statutaire de l’agent et donc de son grade, les 2 autres composantes de sa rémunération sont variables par nature et ne peuvent donc être prises en compte que de façon spécifique au travers de points générés tout au long de la carrière, permettant in fine de liquider une retraite complémentaire. Celle-ci devra être sensiblement améliorée par rapport à l’actuelle retraite additionnelle relative aux primes.

Cette nouvelle organisation de la rémunération devrait, pour l’ensemble des corps, se substituer entièrement aux centaines de primes aux appellations diverses existant actuellement, notamment le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep) créé en 2014, dont l’objet est excellent mais qui est entaché d’un vice rédhibitoire puisqu’il détermine l’indemnité de fonction et de résultat à partir du grade de l’agent, ce qui recrée la confusion entre le grade et l’emploi ! En outre, de nombreuses autres primes ont été maintenues, ce qui, loin de mettre de la clarté, a accentué l’opacité de la feuille de paye.

La priorité est de simplifier et de clarifier l’objet et les modalités de fixation des primes.

Je note que la logique du nouveau dispositif de rémunération proposé a été retenue, pour l’essentiel, pour définir les modalités de la rémunération et de carrière des membres du nouveau corps d’administrateur de l’État créé dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique. Dans le cadre des discussions relatives aux rémunérations que le ministre chargé de la Fonction publique va avoir avec les organisations syndicales et les employeurs publics, il serait souhaitable d’étendre ce nouveau régime de rémunération, dans un premier temps, à l’ensemble des agents de la catégorie A.

Certes, l’attribution de rémunérations complémentaires liées à la fonction ou aux engagements et aux résultats pose quelques questions. D’abord celle de leur importance. Actuellement, l’ensemble du maquis foisonnant des primes représente environ 25 % du total des rémunérations des agents publics. Il n’apparaît pas nécessaire d’augmenter globalement ce niveau. La priorité, on l’a dit, est de simplifier et de clarifier l’objet et les modalités de fixation de ces primes. Se pose notamment la question de savoir qui fixe le montant de ces primes et selon quels critères. Pour la prime de fonction, le montant devra être fixé au niveau national, sur la base du répertoire national des métiers de la fonction publique. Ainsi, tant que l’agent exerce une certaine fonction, il perçoit, outre son traitement indiciaire, la prime de fonction prévue par ce barème public.

En revanche, la prime d’engagements et de résultats doit être fixée, en règle générale, par le supérieur hiérarchique de l’agent, qui est le plus à même d’apprécier le travail de l’agent, à l’occasion de l’évaluation périodique de celui-ci, au regard notamment des objectifs et des priorités indiqués l’année précédente, au niveau individuel ou collectif. Cette prime sera égale à un certain pourcentage de la prime de fonction et s’ajoutant donc à celle-ci. L’agent peut contester l’appréciation portée sur lui et le niveau de prime envisagé, auprès du niveau n+2. Les agents qui le souhaitent peuvent suivre une formation sur cette procédure d’évaluation, en tant qu’évalué ou évaluateur. J’ai personnellement pu vérifier, comme responsable de plusieurs entités publiques, qu’ainsi conçue, l’évaluation périodique de l’agent et la détermination du niveau de sa prime d’engagement et de résultats était bien vécues. Soulignons enfin que, pour les agents contractuels, un dispositif similaire de rémunération peut être réalisé dès lors qu’il est prévu dans leur contrat. J’en ai fait aussi l’expérience.

On pourrait réduire l’écrasement des débuts de carrière des catégories C, B et A, en utilisant les différentes “manettes” constituées par les 3 composantes des rémunérations.

S’agissant du niveau de rémunération des agents, il convient de remédier à deux défauts majeurs de la situation actuelle. Depuis une douzaine d’années, sauf cas particuliers, les rémunérations ont au mieux stagné, grâce au dispositif de garantie du pouvoir d’achat, mais souvent régressé, parfois sensiblement, en début et en fin de carrière. En outre, elles sont aujourd’hui insuffisantes pour attirer assez de candidats, notamment à l’éducation nationale et dans les hôpitaux. La mise en place du nouveau régime de rémunération décrit ci-dessus devrait permettre, en utilisant pleinement les 3 composantes de la rémunération, d’améliorer la situation. On pourrait aussi réduire l’écrasement des débuts de carrière des catégories C, B et A, en utilisant les différentes “manettes” constituées par les 3 composantes des rémunérations.

Enfin, il faudra procéder à deux grands arbitrages : le premier relatif au poids respectif de chacune des 3 composantes de rémunération et, plus précisément, à la part indexée sur la valeur du point d’indice ; le second relatif au champ de la réforme : les 3 fonctions publiques ou seulement celle de l’État ? Une telle limitation compliquerait beaucoup la nécessaire mobilité des personnels entre l’État et les collectivités territoriales, dans les deux sens.

Au total, il est vraisemblable que la masse salariale chargée des 3 fonctions publiques, égale actuellement à environ 12 % du PIB, devra un peu augmenter. Mais, pour une fois, profitons de cette augmentation pour mener une réforme globale de clarification et de justice ! Ce serait ainsi une dépense fructueuse, non seulement pour les agents publics mais aussi pour la qualité des services publics, qui sont un bien commun cher à tous les Français.

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Club des acteurs publics

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