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Jean-Louis Thiériot : “Il faut intégrer une formation militaire à la scolarité des élèves de l’INSP”

Le député LR et vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale revient dans cette tribune sur la proposition de loi qu’il a déposée pour intégrer une formation militaire à la scolarité des élèves de l’Institut national du service public (INSP), qui a remplacé l’ENA le 1er janvier dernier.

Valéry Giscard d’Estaing, brigadier au 2e régiment de dragon ; François Mitterrand, sergent au 23e régiment d’infanterie ; Jacques Chirac, lieutenant au 6e régiment de chasseurs d’Afrique ; François Hollande, lieutenant au 71e régiment du génie. Autant d’expériences militaires qui permirent à nos plus hauts dirigeants de se frotter au monde militaire et d’en connaître les exigences, les grandeurs et les servitudes. Des expériences capitales si l’on en croit le témoignage du général Henri Bentégeat, ancien chef d’état-major des armées, dans Chefs d’État en guerre et dans Les Ors de la République, souvenirs de 7 ans à l’Élysée. Des expériences surtout qui innervaient toute notre élite administrative puisque, jusqu’en 1997, la plupart des élèves de l’ENA passaient par les EOR [élèves-officiers de réserve, ndlr] et l’expérience du commandement.

La suspension du service national a sonné le glas du lien entre l’épaulette sous les armes et le service civil de la Nation. Tant que le monde, ou du moins l’Europe, semblait assuré d’une paix durable à l’ombre du droit, des traités et du multilatéralisme, ce n’était sans doute pas si grave. Aujourd’hui, hélas, chacun mesure que les dividendes de la paix n’étaient que des chèques en bois tirés sur le compte de nos illusions.

La haute fonction publique aura à connaître de crises qui seront nécessairement civilo-militaires.

Deux réalités de fond et de forme sont aujourd’hui évidentes :
- la conflictualité est de retour, y compris dans sa forme militaire, avec l’usage désinhibé de la force par les acteurs étatiques et non-étatiques dont la guerre en Ukraine n’est que le dernier symptôme. Crise du multilatéralisme, abandon progressif des traités de désarmement, réarmement massif, retour des logiques de puissance : le monde vit à nouveau à l’ombre des épées ;
- le visage de la guerre change également. Au traditionnel affrontement des volontés dans les 3 champs connus des espaces terrestre, aérien, maritime, s’ajoute celui du “cyber” et de l’espace proprement dit. La guerre est devenue hybride. Le civil et le militaire se mêlent. Au triptyque “paix, crise, guerre” a succédé celui de “compétition, confrontation, affrontement”. Le continuum sécurité intérieure-sécurité extérieure est la marque des temps. 

Cela change fondamentalement les missions prévisibles de notre haute fonction publique. Elle aura à connaître de crises qui seront nécessairement civilo-militaires.

Une année comme officiers de réserve

C’est l’esprit de la proposition de loi d’appel que j’ai déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale pour inscrire dans le cursus des élèves de l’INSP une année de service militaire comme officiers de réserve. Un élève de l’Institut national du service public (INSP), anciennement de l’École nationale d’administration (ENA), peut ainsi sortir de l’école sans n’avoir jamais salué le drapeau français, avoir manipulé une arme ou, plus grave encore, sans n’avoir jamais eu l’expérience du commandement alors que dans sa carrière, il aura à coopérer avec les forces armées.

Déjà en 2017, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire estimait que, pour renforcer le lien armée-nation et l’efficacité de notre politique de défense, de nouvelles actions devaient être engagées dans 3 directions essentielles, notamment la cohésion des élites et la place de la fonction militaire dans l’État.

La cohésion des élites de la nation et leur aptitude à appréhender les questions de défense et de sécurité nationale constituent un enjeu majeur. Certes, il existe aujourd’hui l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), qui a vocation, puisqu’il rassemble des responsables civils et militaires, élus et chefs d’entreprise, à contribuer à la diffusion des connaissances sur la défense, mais cela n’est pas suffisant et trop tardif dans le cursus honorum.

L’implication des grandes écoles militaires dans des partenariats noués avec des grandes écoles privées désireuses d’offrir à leurs élèves des formations liées à la défense est un signe plus récent mais également prometteur d’une prise de conscience collective. On doit par ailleurs se féliciter que le statut militaire de l’École polytechnique ait été maintenu comme a été conservée la période de formation militaire initiale incluse dans le cursus de l’école, poursuivie pour la majorité des élèves par un stage militaire au sein des forces armées.

Une telle formation représenterait un atout supplémentaire indéniable pour ces futurs hauts fonctionnaires, tant pour l’apprentissage des notions de commandement, de leadership, que pour les enseignements humains.

Néanmoins, on peut s’étonner que les élèves de l’INSP (anciennement de l’ENA) destinés à assumer les plus hautes fonctions de l’État n’aient, depuis la suppression du service national et sauf exception, plus aucune expérience militaire. Alors que la conception globale de la défense et de la sécurité nationale forme, depuis le livre blanc de 2008, le marqueur majeur de notre politique en ces domaines, alors que les futurs hauts fonctionnaires de l’État en seront demain parmi les principaux acteurs, une telle lacune est plus qu’un paradoxe : c’est une anomalie.

Il paraît plus que souhaitable d’instaurer dans le cursus de l’INSP une obligation militaire d’une durée significative, incluant une période de formation en qualité d’élève-officier, suivie d’une période de service effectif dans une unité́ militaire, à l’image de l’École polytechnique.

Formation “d’ordre moral”

Une telle formation représenterait un atout supplémentaire indéniable pour ces futurs hauts fonctionnaires, tant pour l’apprentissage des notions de commandement, de leadership, que pour les enseignements humains délivrés par une telle formation : développer l’esprit de corps d’une promotion grâce à la pédagogie active des armées, s’habituer à réfléchir et à décider en condition de stress physique ou mental, mais également apprendre à travailler en équipe.

En outre, cet enseignement coïnciderait avec l’esprit originel de l’ENA : donner aux futurs hauts fonctionnaires une formation “d’ordre moral”, pour reprendre les mots de Michel Debré, en évitant que cette formation ne soit uniquement technocratique. L’objectif étant de donner aux élites les compétences techniques et humaines nécessaires à l’exercice de leur mission d’autorité civile.

Ma proposition de loi vise donc, par son article unique, à instaurer une période de formation militaire initiale pour les élèves de l’Institut national du service public se poursuivant par un stage militaire pratique au sein des forces armées. Cette proposition de loi doit évidemment faire l’objet de discussions avec l’INSP et les forces armées pour trouver sa forme définitive.

L’idée serait peut-être d’instaurer une année complémentaire avec au choix un service dans la réserve opérationnelle ou dans la réserve civile pour inclure chacun.

Elle est dans l’air du temps. Aujourd’hui, l’INSP et l’Hôtel de Brienne travaillent déjà sur un module de formation aux enjeux de la défense nationale, d’une durée d’une quinzaine de jours, obligatoire pour tous. Il faut aller plus loin en se posant les bonnes questions.
• L’initiation est une bonne chose. Mais assister à quelques démonstrations dans un régiment ou faire quelques exercices d’ordre serré n’est pas comparable avec le fait de commander soi-même une section d’infanterie ou un peloton de cavalerie – même d’instruction – avec des décisions à prendre dans l’urgence, des hommes et des femmes à commander par l’exemple et l’autorité naturelle, quels que soient leur origine et leur parcours. C’est également une magnifique école de délégation. Nos armées pratiquent la conduite par objectif, en laissant une grande liberté au subordonné pour atteindre l’objectif fixé par l’idée de manœuvre. L’esprit seul compte, la lettre dépend des choix du sous-ordre. Une manière de ne jamais oublier le sens de la mission ! L’idéal serait donc de revenir à une année de service militaire obligatoire, après une formation d’élève-officier de réserve, sachant que les armées expriment de réels besoins en matière d’instruction initiale des recrues.
• Une telle proposition se heurterait néanmoins à des obstacles, à prendre en considération. Il faudrait accepter une année complémentaire de scolarité. La diversité accrue des modalités de recrutement – des personnels plus âgés, ayant déjà des charges de famille, avec le 2e et le 3e concours – priverait ceux qui n’auraient pas l’aptitude physique de cette expérience. Certains se sentiront, quoi qu’il advienne, mal à l’aise dans l’institution militaire et seraient davantage des poids que des valeurs ajoutées pour les armées. L’idée serait donc peut-être d’instaurer une année complémentaire avec au choix un service dans la réserve opérationnelle ou dans la réserve civile pour inclure chacun.
• L’autre solution serait peut-être, sans créer d’année complémentaire, de pousser le maximum d’élèves à suivre une formation d’EOR pour s’engager ensuite dans la réserve opérationnelle, sur le modèle commun, avec une bonification de carrière et un choix préférentiel lors des affectations.

Autant d’interrogations qui méritent d’être résolues, en ayant à l’esprit quelques balises. 
• Un haut fonctionnaire n’est pas “un manager public”. Rien de commun entre le management et le commandement. Le manager gère, le chef commande. Dans ce domaine, le new public management a fait des ravages. Bien évidemment, la gestion des deniers publics doit être menée avec efficience, efficacité et à moindre coût. Mais il n’est pas possible de conduire une administration publique avec les mêmes grilles de lecture qu’une entreprise privée. Le critère premier du service de l’État est la mission à remplir, au mieux, à un coût donné défini par les moyens budgétaires alloués.
• L’heure est venue, dans les temps de crise, de retrouver la saine distinction exprimée par Michel Debré et Edgard Pisani entre “administration de gestion” et “administration de mission”. La crise du Covid en a montré l’impérieuse nécessité. Tant que le dossier fut géré par les ARS [les agences régionales de santé, ndlr], déshabituées à l’urgence et à la crise, ce fut très compliqué. Lorsque les préfectures ont repris la main – je l’ai mesuré dans mon département de Seine-et-Marne –, avec un corps préfectoral proche dans sa culture de celle armées, les choses se sont largement arrangées.
• Passer sous les drapeaux serait une belle manière de préparer les futures élites administratives à leurs missions, qui seront de plus en plus liées au régalien, c’est-à-dire à l’autorité de l’État, dans ce qui touche à l’essentiel. Elles auront probablement à participer à la résilience de la nation face aux menaces de toutes natures : terroristes, militaires, climatiques, migratoires… Pour y faire face, elles devront poursuivre comme idéal cette objurgation de Lyautey : “être un de ceux auxquels des hommes croient, dans les yeux duquel des milliers d’yeux cherchent l’ordre, à la voix et à la plume duquel les routes se rouvrent, des pays se repeuplent, des villes surgissent”.

C’est cela, la grandeur du haut fonctionnaire. Avoir servi sous les armes en serait une excellente propédeutique. 

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Club des acteurs publics

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