Avec l’explosion du nombre d’objets connectés (IoT), le renforcement de la traçabilité des produits (QRcode, NFC) ou encore le volume croissant de contenus postés sur les réseaux sociaux, les sources de données sont toujours plus nombreuses. Or, si elles offrent un pouvoir d’exploration gigantesque, encore faut-il disposer des capacités d’analyse suffisantes pour faire face à une telle masse de données. Et au-delà de l’enjeu de la quantité, l’enjeu de la qualité des données (exactitude, complétude, fraicheur, etc.) est parfois sous-estimé alors qu’une gouvernance des données permet de les exploiter et les partager efficacement dans la durée. Enfin, le dernier enjeu pour faire de l’analyse de ces données un puissant outil stratégique de lutte antifraude, est d’être capable de mobiliser de concert une expertise métier et technologique.
Données et technologies numériques, fers de lance de la lutte anti-fraude
Le secteur public s’est saisi depuis quelques années du potentiel des nouvelles technologies en matière de data mining et d’intelligence artificielle pour moderniser les outils de lutte contre la fraude, et passer ainsi d’une détection réactive à une détection proactive des contrevenants. Ces technologies, portées par la croissance de la puissance de calcul et la sophistication des algorithmes, disposent d’un potentiel de développement quasi sans limites. À titre d’exemple, l’administration fiscale identifie des milliers de piscines non déclarées en utilisant des images satellites ou peut depuis la loi anti-fraude votée en 2019 expérimenter l’utilisation de données publiques sur les réseaux sociaux à des fins de contrôle.
Pour exploiter le potentiel de ces algorithmes au mieux, il faut pouvoir faciliter les expérimentations et les tests afin d’identifier les utilisations les plus utiles le plus rapidement avec les agents et les experts métier, par exemple dans le cadre d’un programme d’incubation dans l’esprit des « start up d’État ». Et, pour permettre de passer à l’échelle, ces expérimentations doivent anticiper les impacts sur les systèmes d’informations existants.
Mieux vaut prévenir que punir !
La prévention joue également un rôle crucial. Lutter contre la fraude signifie avant tout s’adresser aux fraudeurs, que la fraude soit intentionnelle ou non, mais implique également d’informer les usagers pour les dissuader de contrevenir à la législation. Dans ce but, de nombreux leviers sont à la disposition des administrations pour inciter les citoyens à faire preuve d’un comportement vertueux.
S’appuyant sur nos biais cognitifs, les « Nudges » ou incitations « douces » sont d’ores et déjà utilisés par l’administration. En se basant par exemple sur la tendance que nous avons généralement à agir comme la majorité, la publication d’un compteur dénombrant les citoyens ayant déjà déclaré leurs impôts incite d’autres usagers à faire de même. Autre illustration, lors du remplissage de formulaires, des alertes ciblées peuvent détecter les erreurs impliquant un risque de fraudes fréquemment réalisées par les usagers.
En améliorant l’ergonomie et l’expérience utilisateur des services en ligne, il est possible de limiter les fraudes causées par une éventuelle phobie administrative. L’Administration s’est d’ailleurs engagée à adopter une approche plus pédagogue, afin de prévenir avant de sanctionner les erreurs qui amènent à commettre des erreurs. C’est l’esprit de la loi ESSOC qui a mis en place un droit à l’erreur et de la plateforme oups.gouv.fr qui vise à expliquer au contribuable, avant toute sanction, comment ne plus se tromper dans ses démarches.
La recherche d’une meilleure expérience utilisateurs peut permettre également d’empêcher les fraudes à la source. Le programme « Dites-le nous une fois » permet ainsi d’éviter à l’usager de fournir une information déjà connue de l’administration ce qui lui fait gagner du temps et permet en plus à l’administrations de s’assurer que l’information ou le justificatif n’est pas contrefait.
En se basant sur des méthodes préventives, l’administration souhaite changer en profondeur le rapport au contrôle et instaurer une relation de confiance et de proximité avec les usagers. Par exemple, dans le cadre du contrôle et de la lutte contre le travail dissimulé, la Caisse Nationale des URSSAF (ACOSS) a mis en place des actions de prévention sous la forme de contrôles à blanc. La DGFiP a par ailleurs instauré la possibilité pour les PME de solliciter un contrôle fiscal sur demande afin d’exposer les règles applicables.
Des leviers efficaces
La France n’est pas la seule à actionner ce levier. L’Australie fait office de référence en la matière puisque ce pays est l’un des plus importants en matière de déduction fiscale au titre des frais réels (vêtements, voiture, trajets, etc.). Environ 65% des contribuables intègrent les frais réels dans leur déclaration de revenu afin d’en tirer un bénéfice fiscal. Mais ces déclarations ne sont pas toujours conformes puisqu’une étude a montré qu’un contribuable sur cinq pense que commettre des erreurs sur la déclaration d’impôt n’est pas une faute grave et 71 % des contribuables pensent pouvoir bénéficier d’une réduction fiscale à laquelle ils n’ont pas forcément le droit. L’Australie a alors mis en place un système de notifications à destination des professionnels de la fiscalité afin que ces derniers remplissent correctement les déclarations d'impôt de leurs clients. Cette mesure a ainsi permis de faire diminuer les déclarations de frais réels de près de 190$ en moyenne.
En somme, pour que la lutte contre la fraude profite au maximum des apports technologiques et du potentiel de la donnée, il est nécessaire de développer des processus qui favorise les innovations et leur passage à l’échelle. Dans le même temps, les sciences comportementales et la simplification administrative sont des leviers à développer pour prévenir la fraude à la racine. Les agents, en plus de leur mission de contrôle, adoptent ainsi un rôle d’accompagnement des citoyens et des entreprises de bonne foi.
Nicolas Conso, Partner Conseil Secteur Public chez Sopra Steria Next