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Gabrielle Halpern : “Le manager public devra avoir plusieurs cultures et plusieurs identités”

Philosophe, spécialiste de l’hybridation et auteure de la bande dessinée La Fable du centaure*, Gabrielle Halpern espère que grâce à la formation et au futur Institut national du service public, les managers publics des prochaines années auront “un pied dans plusieurs mondes”. Il faudra, dit-elle, donner plus de liberté pour attirer des talents dans le secteur public. Un enjeu phare pour porter la transformation de l’action publique.

Pourquoi le manager public du prochain quinquennat (et des suivants) doit-il être hybride ?
Cela fait des années que nous passons notre temps à tout ranger dans des cases. On colle des étiquettes sur les métiers, les territoires, les générations, les activités, les individus. Chacun d’entre nous agit de la sorte à l’échelle individuelle, mais lorsque cela se fait à l’échelle collective, on crée ou on renforce sans le vouloir des silos et des fractures. Le secteur public doit se remettre en question, car qui dit vision catégorielle de la société, dit politiques publiques catégorielles. Or le monde s’hybride de plus en plus et plus rien n’entre dans les cases. Le manager a donc une responsabilité particulièrement forte, puisqu’il doit à la fois être hybride, ou être un “centaure” – c’est-à-dire avoir un pied dans plusieurs mondes, plusieurs métiers, cultures ou identités professionnelles –, et garantir l’hybridation au sein de ses équipes. Il s’agit d’une part de mettre fin à la terrible consanguinité professionnelle et culturelle qui existe dans les administrations et d’autre part d’être prêt à recruter des profils très atypiques sans leur couper leur cinquième patte de mouton. Certes, ces profils apporteront avec eux de l’imprévisibilité au sein de l’équipe, mais à force de rejeter l’imprévisibilité en interne, les managers ne savent plus comment y faire face lorsqu’elle vient de l’externe, en forme de Covid-19 ou… un jour, de virus informatique ! Mais il ne s’agit pas seulement d’avoir une équipe plurielle de collaborateurs, il s’agit d’être capable de garantir une véritable rencontre entre les différents métiers, jargons et identités professionnels au sein de cette équipe. L’hybridation, c’est la métamorphose réciproque : si l’on sort d’une réunion exactement comme on y est entré, si l’on n’est pas un petit peu différent, alors c’est le signe que l’on s’est réunis, mais que l’on ne s’est pas rencontrés.

Les écoles du service public ont une responsabilité immense !

Vous le mentionnez dans votre BD : toutes les écoles de formation devraient être des établissements “hybrides”. Quelles formes la formation doit-elle alors prendre ?
L’hybridation est un état d’esprit, une manière d’être au monde ; cela doit s’apprendre le plus tôt possible. De ce point de vue, les écoles du service public ont une responsabilité immense ! L’hybridation, je le précise, est cette capacité à faire des mariages improbables entre des métiers, des individus, des secteurs, des compétences, des formations, des lieux, des logiques, des cultures, des mondes qui, a priori, n’avaient pas grand-chose à voir ensemble ou qui pouvaient sembler contradictoires, mais qui, ensemble, vont permettre de faire advenir des tiers-lieux, des tierces-écoles, des tiers-métiers ou des tiers-fonctionnaires ! Il y a des Compagnons du devoir à côté de l’INSP… Pourquoi ne pas provoquer des rencontres, des réflexions et des travaux communs ? Elias Canetti disait que “la vie est un éternel rétrécissement” : on peut lutter et lui résister en élargissant sans cesse sa base… Mais pour ce faire, il faut “jeter son ancre le plus loin possible”.

Tout cela passe-t-il par le management, l’accompagnement au changement ? Et donc par mieux outiller les managers ?  
Non, cela passe aussi et surtout par la direction des ressources humaines et, au-delà, par une véritable volonté de la part du directeur de l’administration et des décideurs politiques. Je ne crois pas dans l’outil “magique” ; plus on outille les managers et plus ils ont la tentation de vouloir tout maîtriser. Pour qu’il y ait des mariages improbables, il faut laisser place à une forme d’imprévisibilité et être prêt à accueillir ce qui n’entre pas dans nos cases.

Pour attirer les talents, il faudra leur donner plus de liberté, c’est-à-dire plus de responsabilité.

Le secteur public peine à attirer les talents. Le management et l’agent public “centaure” peut-il constituer un élément d’attractivité ?
Les nouvelles générations sont de plus en plus désireuses de fiches de poste plurielles, voire hétéroclites – nous voulons vivre mille vies en une ! –, d’où l’incroyable essor de l’entrepreneuriat. Les managers du secteur public ou du privé doivent en prendre conscience : pour attirer ces talents, il faudra leur donner plus de liberté, c’est-à-dire plus de responsabilité. Comment s’épanouir lorsque l’on n’a aucune marge de manœuvre ? Le manager public devra être évalué autrement, en prenant aussi en compte sa capacité à émanciper ses équipes et à assurer des métamorphoses réciproques entre les agents. Les talents reviendront ! Par ailleurs, s’il y a pénurie de talents, c’est aussi parce que l’on va systématiquement les chercher dans les mêmes viviers… Il est essentiel que la fonction publique aille jeter son ancre le plus loin possible vers d’autres talents !

* La Fable du centaure, un voyage initiatique, Gabrielle Halpern et Didier Petetin, Humen Sciences, février 2022. Gabrielle Halpern est également l’auteure de Tous centaures ! Éloge de l’hybridation (Le Pommier). 

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