Partager

6 min
6 min

Exclusif : comment l’administration a briefé le ministre Guerini

Acteurs publics a pu consulter le “dossier ministre” que la direction générale de l’administration et de la fonction publique vient de remettre au nouveau ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini. L’administration y liste les prochains chantiers à arbitrer et, surtout, y glisse quelques recommandations stratégiques, notamment sur les carrières et les rémunérations des agents publics.

Un cadeau de bienvenue ô combien stratégique pour Stanislas Guerini. La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) vient de remettre au nouveau ministre de la Transformation et de la Fonction publiques son fameux “dossier ministre”. Ce document de près de 150 pages, qu’Acteurs publics s’est procuré, dresse la liste des chantiers en cours en matière de fonction publique. Une formation en mode acceleré pour ce nouveau ministre. L’administration en profite pour esquisser des “pistes d’évolution” pour l’avenir, dont certaines s’annoncent pour le moins explosives. 

Premier axe identifié par la DGAFP pour le nouveau ministre : “parachever les réformes structurantes engagées pour renforcer l’attractivité de la fonction publique”. Ce qui passera donc par la poursuite de l’application de l’ordonnance du 2 juin 2021 de réforme de l’encadrement supérieur. Un “chantier finalisé dont il faut désormais incarner l’ambition”, explique la direction dans son document. 

Dans les prochains mois, Stanislas Guerini aura ainsi à arbitrer la réforme des concours et de la scolarité de l’Institut national du service public (INSP), l’établissement qui a remplacé l’ENA début janvier. Un arbitrage est également attendu de sa part sur la procédure de sortie de cet établissement. Il devra ainsi “confirmer ou pas la suppression du classement”. Autant de chantiers sur lesquels la directrice de l’INSP, Maryvonne Le Brignonen, a été missionnée. 

Parachever la réforme de la haute fonction publique

Sur la réforme de la haute fonction publique, le nouveau ministre devra aussi “décider d‘élargir le champ des écoles de service public” participantes au tronc commun de formation piloté par l’INSP ou encore “compléter son contenu”. Charge également à Stanislas Guerini “d’asseoir la marque INSP au niveau international”. Et ce, précise la DGAFP, “alors même que l’annonce de la suppression de l’ENA continue de susciter des interrogations et des malentendus chez nos partenaires internationaux”. 

Autre chantier de taille concernant la haute fonction publique : “achever la réforme des rémunérations” de l’encadrement supérieur d’ici la fin de l’année après la création du nouveau corps interministériel des administrateurs de l’État et la fonctionnalisation et la mise en extinction des grands corps de l’État. 

La réforme de la haute fonction publique, explique la direction, “suppose la création d’un nouveau modèle de rémunération, plus lisible et plus dynamique, de nature à accompagner et incarner les principaux objectifs de la réforme (attractivité, mobilité, transparence)”. À ce titre, l’exercice d’emplois fonctionnels donnera notamment “lieu à accélération de la carrière” puisque “la carrière dans le corps [des administrateurs de l’État, ndlr] suivra une grille concave, démarrant au niveau de la grille actuelle, mais avec une progression plus rapide sur les premières années, puis un ralentissement ensuite, les valorisations intervenant alors du fait de l’occupation d’emplois fonctionnels”. 

Carrières et rémunérations

Les nouvelles modalités de rémunération que Stanislas Guerini devra acter ne concerneront pas seulement ces cadres supérieurs. Le ministre aura en effet pour mission de préparer la réforme des carrières et des rémunérations de l’ensemble des agents publics, en lien avec la réforme des retraites. Un vaste et sensible chantier qu’Emmanuel Macron a promis d’engager lors de la campagne présidentielle. Le Président avait alors affirmé son intention de “rebattre les cartes de l’organisation de la rémunération” dans la fonction publique avec une “réforme complète des grilles”. 

Le constat que dresse la DGAFP dans son document est en effet particulièrement critique : aujourd’hui, les “rigidités” du système de rémunération des agents publics – régi par des règles communes – “ne permettent plus de répondre aux enjeux d’attractivité, de fidélisation et de déroulé de parcours professionnels diversifiés”. Et ce d’autant plus dans un contexte de forte inflation, précise la direction générale en reprenant donc les constats dressés en mars dernier par les garants de la Conférence sur les perspectives salariales de la fonction publique, Paul Peny et Jean-Dominique Simonpoli. Ces derniers appelaient notamment à recentrer le régime indemnitaire sur la performance. 

Pour la DGAFP, la première interrogation à trancher par Stanislas Guerini sera celle du “maintien d’un cadre commun” aux trois versants de la fonction publique. Les “marges de manœuvre laissées aux employeurs” devront également être questionnées “au regard de leurs points de convergence (filière administrative et technique par exemple) mais aussi de divergence (spécificités des métiers du soin et de leur adhérence avec le secteur privé, revendication des employeurs territoriaux à être plus associés aux choix et à disposer de plus d’autonomie”. 

Gel des mesures statutaires et indemnitaires ? 

Plaidant la nécessité d’“interroger (les) concepts relatifs aux éléments de carrière et aux régimes indemnitaires”, la DGAFP avance ainsi plusieurs “pistes” et “thèmes” déjà “identifiés à ce stade”. Des idées pour le moins explosives sur le plan social si elles venaient à se concrétiser. 

Dans le désordre, la direction évoque une fusion des corps ou cadres statutaires “selon des critères communs (logique métiers/filières, employeurs…)”, une substitution par une “approche par familles de métiers au sein desquelles des niveaux pourraient être définis”, des “possibilités d’accélération” sur les grilles, l’introduction de “cadencements différenciés” en fonction de l’expérience ou de la mobilité. Évoqués également : une réduction du nombre de grades, une “décorrélation” du grade et de l’accès à certains postes, le développement de la rémunération au mérite ou encore la suppression du supplément familial de traitement “au profit de l’action sociale interministérielle”. 

Quand ce chantier d’ampleur pourrait-il être engagé ? Le calendrier de la réforme est sensible, concède la DGAFP en référence à l’impact sur les systèmes d’information ou encore aux élections professionnelles de la fonction publique, prévues en décembre prochain. Pour la direction générale, la phase de “concertation/négociations” sur cette réforme ne pourraintervenir qu’après ce scrutin. “Toutefois, les grandes orientations peuvent être arbitrées en amont”, précise la DGAFP, en appelant le ministre à mettre les autres chantiers en attente d’ici là.

“Un gel des mesures statutaires et indemnitaires serait souhaitable préalablement au lancement du chantier, le temps de stabiliser les principales orientations, suggère ainsi la DGAFP. Seuls les projets déjà engagés (protocole police et gendarmerie, nouvelle politique de rémunération des militaires, états généraux de la justice…) ou les mesures de revalorisation générale et de convergence indemnitaire seraient poursuivis pendant la période de conception de la réforme.” 

Le premier dossier qui attend Stanislas Guerini est en effet celui du dégel de la valeur du point d’indice. Une revalorisation générale annoncée par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle et qui devrait être intégrée dans le projet de loi de finances rectificative que le gouvernement compte présenter après les élections législatives. De premières discussions sont prévues très prochainement avec les organisations syndicales. Nul doute que les représentants du personnel interpelleront leur nouveau ministre sur la réforme des carrières et des rémunérations telle qu’imaginée aujourd’hui par la DGAFP. Big bang en vue ? 

Les autres dossiers que Stanislas Guerini devra arbitrer 
• Mettre en œuvre la réforme de la protection sociale complémentaire, qui prévoit notamment la participation obligatoire des employeurs publics à la couverture santé de leurs agents. “La complexité de la réforme pourrait nécessiter de décaler le calendrier de mise en œuvre”, affirme néanmoins la DGAFP
• Décliner le plan Santé au travail au sein des 3 versants 
 Continuer le développement du programme “Talents du service public”
• Simplifier les concours de la fonction publique d’État. À ce propos, la DGAFP évoque notamment l’idée d’une pérennisation des concours “Talents” d’accès aux écoles de service public, d’une rationalisation du nombre d’épreuves des concours de la fonction publique ou encore une mutualisation des épreuves via des banques d’épreuves
 Réformer les instituts régionaux d’administration (IRA) via un possible allongement de la scolarité de six à huit mois avec l’ajout d’un stage en services (globaux) de deux mois suivi d’une affectation en administration puis d’une titularisation après un stage de quatre mois 
• Diffuser la nouvelle culture de la négociation collective 
• Construire une nouvelle politique interministérielle de l’accès au logement des agents publics 
• Moderniser la gouvernance et les outils de l’action sociale interministérielle 
• Approfondir la dimension territoriale de la politique RH de l’État en renforçant les plates-formes régionales d’appui interministériel à la gestion des ressources humaines (PFRH)
• Renforcer la gouvernance des systèmes d’information RH de l’État et “mieux structurer l’offre statistique”.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×