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Encadrement supérieur : une délégation interministérielle pour quoi faire ?

La création prochaine d’une délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État annonce une refonte globale du pilotage des carrières, des corps et de la rémunération des hauts fonctionnaires. Un chantier de titans lancé tardivement dans le quinquennat.

Du nouveau dans le pilotage des ressources humaines de l’État. La mise en œuvre de la réforme des carrières de la haute fonction publique va entrainer la création d’une délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'Etat (Diese). Le Président Macron en a fait l’annonce le 8 avril lors de son discours devant les hauts cadres de l’État. Elle sera créée “autour de missions simples” : accompagner chaque fonctionnaire dans l'écriture de sa carrière, penser pour les cadres qui le souhaitent, une seconde carrière qui puisse se faire en dehors de la filière administrative d'origine, “voire sur le modèle de ce qui se pratique aussi pour les militaires en dehors de l'administration et accompagner les secondes parties de carrière hors de l'administration pour celles et ceux qui le souhaitent”. Elle sera aussi chargée de constituer très tôt des viviers de talents qui à 5, 10 ou 15 ans “peuvent être appelés aux plus hautes fonctions en veillant à ce qu'ils représentent la diversité de la société”, a ajouté le chef de l’Etat. Le développement d’outils RH tels que l’évaluation à 360 degrés pourrait notamment être au menu des discussions.

Dans son discours, Emmanuel Macron a livré une critique implacable – rarement entendue dans la bouche d’un Président – du système et de l’articulation entre échelon ministériel et interministériel. Des sujets de débat sans fin depuis la reconstruction de l’État en 1945. “Nous avons renoncé à gérer, bâtir des carrières de manière transparente et méritocratique, nous avons construit des refuges d'excellence qui ont continué à attirer des hauts potentiels, mais parfois en brisant des destins, souvent en étant injustes, a dit le Président. Nous l'avons fait comment ? Par le déterminisme du classement de sortie (de l’ENA, ndlr), en scellant des destins à 25 ans, pour le meilleur et quelquefois pour le pire, autrefois. Nous avons ensuite compensé cela au fil de la carrière par les autres accès à ces mêmes grands corps et par un corporatisme que chaque ministère d'ailleurs a reconstitué en niant totalement l'esprit de 1945, en niant l'interministérialité légale des administrateurs civils pour rebâtir une ministérialité de fait des fonctions par des différenciations de primes, des corporatismes qui se sont bâties, avec ensuite des accélérateurs de carrière qui étaient de passage en cabinets ministériels. Je décris de manière cruelle quelque chose que beaucoup d'entre nous et moi-même aussi avons vécu.”

Manque de vision et d'effectifs

Actuellement, la mission de suivi de l’encadrement supérieur n’est pas assumée de manière satisfaisante. Les ministères disposent généralement d’une délégation en leur sein chargée de ces questions mais l’addition de délégations ne fait pas une politique d’ensemble au plan interministériel. Surtout, la gestion administrative du quotidien peut facilement prendre le pas sur des considérations stratégiques de long terme. Le meilleur DRH, c’est le plus souvent soi-même. Le renforcement de l’accompagnement aux agents A+ constitue une vieille revendication des organisations de la haute fonction publique regroupées au sein du G16. Dans les grands groupes privés, il existe un “gestionnaire des ressources humaines” pour 100 cadres de haut niveau, argumentait le G16 à la veille de la présidentielle de 2017.

“Si un tel ratio était appliqué à la seule haute fonction publique d’intervention, 120 managers des ressources humaines seraient en charge de la gestion individualisée des carrières de 12 000 hauts fonctionnaires, dans le cadre d’un échange harmonisé entre le niveau central et le niveau de chaque corps, développait le groupement dans son argumentaire. En fait, la situation actuelle est très éloignée de ce décompte et une des conséquences en est que les fins de carrière des hauts fonctionnaires sont souvent mal organisées et mal utilisées.”

L’impulsion macronienne n’entraînera sans doute pas le recrutement d’une telle cohorte, mais la philosophie du moment colle bien à cette vieille préoccupation. Pour l’heure, le périmètre de la nouvelle Diese n’est pas connu. Traditionnellement, l’encadrement supérieur renvoie à une notion de cadres de niveau A+ (sous-préfets, sous-directeurs, chefs de bureau, etc.) tandis que l’encadrement dirigeant regroupe les cadres du dessus dont un nombre important reste nommé chaque mercredi en Conseil des ministres. Ce jeu de définition aura une traduction opérationnelle directe : la nouvelle délégation traitera-t-elle les deux strates ou n’aura-t-elle vocation qu’à suivre les cadres supérieurs en parallèle de la délégation aux cadres dirigeants forte de 7 personnes et qui existe déjà au secrétariat général du gouvernement (SGG) depuis une petite dizaine d’années, sachant que les deux sujets paraissent intimement liés ? Pour l'heure, rien n'a filtré. “Cette délégation interministérielle sera la réalité augmentée de l’actuelle Mission aux cadres dirigeants, sise pour l’heure au Secrétariat général du Gouvernement et qu’elle alourdit d’une fonction certes transverse mais qui n’est pas le cœur de métier du SGG, juge dans une interview, publiée dans nos colonnes (cliquez-ici), l'universitaire Jean-Michel Eymeri-Douzans. Il est donc bienvenu que cette fonction soit érigée en une entité autonome.”

Chamboulement du paysage administratif

Au plan interministériel, la thématique de l’encadrement supérieur est aujourd’hui suivie à la direction générale de l’administration et de la fonction publique par le bureau de l'encadrement supérieur et des politiques d'encadrement, composé d’une quinzaine d’agents et un peu renforcé voilà quelques années pour dépasser la simple appréhension juridique du sujet. Historiquement, la DGAFP – la DRH de l’État – édicte les textes d’organisation des emplois ou des corps de niveau A+ et assure la tutelle opérationnelle de l’ENA et des instituts régionaux d'administration (IRA). Elle assure aussi un contrôle de légalité des arrêtés de nomination signés par les ministres au travers de ce que l’on appelle le guichet unique : une procédure de validation juridico-financière organisée à deux têtes avec la direction du Budget à Bercy.

De fait, la création de la nouvelle Diese symbolise la volonté de passer à la vitesse supérieure et chamboule un peu le paysage administratif, même si l’on devine que la nouvelle délégation n’ira pas se noyer dans de la gestion administrative. Après avoir déjà perdu la totale maitrise des cadres dirigeants sous la présidence Sarkozy au profit du SGG, la DRH de l’État se trouve une nouvelle fois en situation d’être concurrencée sur cette thématique, même s’il est possible qu’elle conserve le leadership sur le statutaire. Les ministères traditionnellement désireux de conserver leur domaine de souveraineté vont perdre une certaine autonomie. Le Premier ministre devrait en effet à l'avenir édicter les lignes de gestion de l’encadrement supérieur de l’Etat, en lieu et place de ses ministres.

Force de l'ordre établi

La mise en place du nouveau corps unique des administrateurs de l’État va aussi constituer à un bon test, tant il revêt des enjeux de gestion interministérielle. Le réglage de tous ces curseurs va impliquer un travail de dentelle. Dans un autre registre, le processus de nomination peut être éventuellement questionné. Un premier pas avait été franchi en la matière en 2016 avec la création de comités d’auditions pour les nominations aux postes de chefs de service dans les directions d’administrations centrales – une des strates de l’encadrement supérieur. De par leur composition, ces comités ont vocation à élargir un peu le regard RH au-delà du microcosme directionnel. De même, il s’agit de “renforcer le caractère interministériel des viviers des emplois fonctionnels, ce qui doit également contribuer à améliorer l’accès des femmes aux plus hautes responsabilités”, comme l’explicitait une circulaire du 14 juin 2016.

La réforme annoncée le 8 avril, à un an de la fin du quinquennat, laisse à ce stade dubitatifs certains observateurs RH qui pointent la force de l’ordre établi et rappellent la dernière tentative de renforcement du pilotage des ressources humaines (pour toute la fonction publique) opérée en 2016, louable mais aux effets des plus limités. Le sujet paraît cette fois-ci moins stratosphérique. Surtout, il n’est pas porté par un membre important de cabinet ministériel mais par le Président de la République lui-même. Son implication personnelle tout au long du processus sera déterminante.

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