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Développement économique : entre État et régions, des rapports moins compliqués sur le terrain

Entre le gouvernement et les régions métropolitaines et ultramarines, les relations d’hier se sont rafraîchies à l’automne 2021. Les collectivités pointent du doigt une perte de confiance. En revanche, sur le terrain, une collaboration fructueuse semble perdurer.

De la confiance avant tout ! Réactives dès le début de la crise sanitaire, les régions s’attendaient à ce que leurs relations avec l’État restent bâties sur ce socle. Les choses ne se passaient pas trop mal, entre le plaidoyer des ministres Bruno Le Maire et Jacqueline Gourault pour la contractualisation d’un côté et une ligne persistante d’appels à projets de l’autre. Avec Bercy, les deux ­parties semblaient portées par le sentiment d’avoir trouvé un intérêt à travailler ensemble.

Certes, en 2020, il y avait bien eu ces livraisons de masques commandés par les régions et réquisitionnés sur le tarmac des aéroports par le gouvernement, qui en manquait, ce qui avaient fortement irrité les élus. Mais il y avait surtout eu ce retroussement de manches et des dispositifs régionaux pour anticiper la crise économique et la relance à venir.

Et le sentiment, qu’ont encore les régions, d’avoir été très tôt dans la réactivité en engageant plus de 2,2 milliards d’euros dans l’urgence, puis en prenant l’engagement, vis-à-vis de l’État, d’augmenter de 14 à 20 milliards leur contribution aux contrats de plan État-régions (CPER) 2021-2027. Soit plus de 15 milliards d’accords de relance pour les seules années 2021 et 2022. Et ce quand bien même les régions piaffent d’impatience de se voir confier davantage de responsabilités – parfois au-delà du périmètre de leurs compétences. Impatience que le gouvernement doit régulièrement modérer.

“Partenaires majeurs de la relance”

En octobre 2020, à Paris, lors du congrès de l’association Régions de France, le Premier ministre, Jean Castex, avait parlé d’“alliance”, de dépassement de différences légitime pour faire face à la crise et, avec la signature d’un engagement réciproque avec le président Renaud Muselier (LR, Sud), s’était réjoui “de cet accord ambitieux qui marque sans doute une nouvelle étape dans les relations entre le gouvernement et les régions”. “Ce partenariat, avait ajouté Jean Castex, illustre bien la manière dont j’entends marquer le dialogue avec l’ensemble des collectivités territoriales dans la confiance et le respect.” Deux termes que les présidents de région avaient tout particulièrement retenus, les imaginant volontiers gravés dans le marbre. Les deux parties s’étaient engagées à apporter 20 milliards d’euros chacune, pour soutenir l’investissement et la relance. Cela méritait donc bien un peu de brossage dans le sens du poil, de la part de Matignon. Jean Castex avait même ajouté à l’adresse des présidents de région : “Par cet effort sans précédent, l’État fait de vous des partenaires majeurs de la relance.”

Un an plus tard, force est de constater que, de l’esprit de partenariat, il reste, d’un côté, un gouvernement qui estime avoir fait beaucoup et avoir fait le plus possible et, de l’autre, des régions très remontées après avoir entendu le Premier ministre leur faire la leçon lors de leur congrès de 2021 à Montpellier (Hérault), fin septembre. Après “la période brève de l’union sacrée et les milliards de dépenses exceptionnelles, on sent aujourd’hui que le naturel est revenu au galop”, confie Mickaël Vaillant, chargé de mission “Économie” à Régions de France. Estimant que les collectivités ont une importante capacité de réaction et de maillage du territoire reconnue, il déplore un manque de territorialisation dans l’action, alors que les régions se disent “prêtes à actionner tous les leviers, y compris financiers” pour prendre une part active dans la mise en œuvre du développement économique.

Mi-septembre 2021, les 18 présidents des régions métropolitaines, d’outre-mer et de la collectivité territoriale de Corse étaient invités à Matignon. À la sortie, la nouvelle présidente, Carole Delga (PS, Occitanie), estimait qu’ils avaient été “écoutés” comme cela n’avait jamais été le cas avec Édouard Philippe, lorsque ce dernier était Matignon. Plus écoutés qu’entendus, toutefois, puisqu’à leurs demandes de transferts de compétence, le gouvernement avait surtout botté en touche. Mais en pleine discussion sur les CPER, les exécutifs régionaux espéraient une batterie de bonnes nouvelles, à leur congrès de Montpellier,
deux semaines plus tard.

Discussions suspendues

Certes, ce 30 septembre, ils ont bien entendu Jean Castex exprimer le besoin qu’il y avait “de travailler ensemble, l’État et les collectivités territoriales, main dans la main”, et parler d’être solidaires, dans le même bateau. Ils ont noté qu’il avait entendu leur volonté d’être mieux associés au dispositif de l’emploi, mais qu’il n’y répondrait pas tout à fait, tout comme ils l’ont entendu citer des initiatives régionales sur lesquelles il s’appuierait, et se féliciter du “travail conjoint” qui favorisait un nombre de formations professionnelles jamais atteint. Mais ils ont surtout la certitude d’avoir entendu le Premier ministre minimiser l’impact de la crise sur les finances des collectivités grâce à la forte mobilisation des deniers de l’État, et évoquer 192 millions d’euros de compensation de pertes de recettes et des garanties qui n’existaient pas pour les autres niveaux de collectivités.

D’un coup, le vent a tourné. Et pour Jules Nyssen, délégué général de Régions de France, le bilan du quinquennat sur le développement économique est désormais mitigé. L’association avait l’impression d’avoir bien travaillé avec l’État – avec Bercy, notamment –, avant et pendant la crise, mais déplore qu’un trait semble tiré sur ce passé. “C’est redevenu plus ­compliqué”, constate Jules Nyssen. Et ça l’est tellement que, depuis l’allocution de Montpellier, les présidents des régions ont suspendu les discussions sur les CPER engagées avec l’État. “Il a voulu réaffirmer son ­autorité, alors qu’au même moment, on voyait passer les trains des décisions”, commente le délégué général. 

Problème de confiance et manque de lisibilité

Car déjà, l’enthousiasme de la rencontre de mi-septembre à Matignon avait été douché deux semaines plus tard, lorsque les régions devenaient, dans le cadre des décisions du projet de loi de finances (PLF) 2022, le seul niveau de collectivités subissant une baisse de dotations. “Moins 850 millions d’euros au moment où, dans son rapport annuel sur les finances locales, la Cour des comptes pointait du doigt la section de fonctionnement des régions comme la plus affectée par la crise sanitaire, alors que cette catégorie de collectivités n’a pas fait l’objet de mesures de soutien spécifiques en 2020, contrairement aux communes, aux groupements et aux départements. Ça a jeté un froid”, commente le délégué général de Régions de France.

La porte n’est pas verrouillée à double tour, mais les régions estiment qu’il y a “un vrai problème de confiance pour travailler ensemble, donc un problème politique”. D’autant que leur connaissance du terrain justifierait, à leurs yeux, qu’elles soient plus impliquées dans le domaine de l’emploi, comme elles le sont déjà dans la formation, à un moment où la difficulté que rencontrent les entreprises pour embaucher s’avère être un frein à la reprise économique. Les régions adossent leur ressenti d’une action manquant de territorialisation aux 16 % seulement du plan de relance gérés au plus près du terrain, dont 8 % à la main des préfets. 

Cette recherche de la confiance se double d’un manque de lisibilité. Certes, lors de la présentation de sa vision de la France en 2030, le 12 octobre, Emmanuel Macron a bien cité les collectivités territoriales à 5 reprises, mais à aucun moment il n’a précisé leur implication dans les objectifs qu’il a fixés, pas plus dans les défis relevant de la formation que dans la réindustrialisation ou le développement économique, qui figurent pourtant dans le champ de leurs compétences, et alors que 30 milliards d’euros vont être mobilisés, dont 3 à 4 milliards dès le 1er janvier 2022. Surprise que les régions n’aient pas été associées à l’élaboration du plan, même a minima, Carole Delga a été reçue par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, quelques jours avant la présentation. Elle a proposé un principe de contrats d’objectifs et de moyens à l’échelle de chaque région pour une partie du plan, et si le ministre y a semblé favorable, les territoires ignorent de quelle manière et si même ils seront associés à la gouvernance car, au final, c’est le président de la République qui tranchera.

Travail partenarial avec la préfecture

Sur le terrain en revanche, les relations semblent moins altérées, et la vision de la collaboration moins nébuleuse. Exemple dans la région Grand Est où, dès le printemps 2020, le plan de relance et de reconquête “Business Act” a été mis en œuvre sur le principe d’une coconstruction et d’un copilotage entre la préfète de région et le président du conseil régional, Jean Rottner (LR). Une stratégie jugée ambitieuse, au sujet de laquelle Benjamin Legrand, conseiller au cabinet du président du Grand Est, fait état d’une “bonne relation” pour répondre, par anticipation, aux besoins des entreprises fragilisées par la crise. 

Pour preuve, 80 actions concrètes et 40 projets structurants ont été engagés et le succès de la coopération sera concrétisé par l’annonce de l’acte II du plan, le 7 décembre. “Avec l’État en région, cela se passe bien, on travaille ensemble depuis dix-huit mois, ça se construit”, relève le conseiller de Jean Rottner. Mais pour ce qui est des relations avec le gouvernement, le constat reste le même qu’au sein de Régions de France. Ici aussi, les discussions sur les CPER reprendront lorsque l’exécutif régional s’estimera prêt, et non lorsque Matignon ou tout autre ministère le décidera. “Le Premier ministre savait ce qu’il fallait faire pour que les choses se passent bien. Or quand Carole Delga a tendu la main, il l’a prise de haut”, confie l’entourage du président Rottner. Si le travail partenarial se poursuit, c’est parce que les services et l’exécutif du conseil régional travaillent sur le terrain, avec la préfecture, et non pas avec Matignon. 

“Nous sommes les seuls en France à avoir un plan de relance croisé et coconstruit”, s’enorgueillit Benjamin Legrand. L’intérêt des entreprises est de savoir quand et comment percevoir l’argent du plan de soutien, et d’avoir un interlocuteur unique. “Business Act” n’a pas de ligne budgétaire statique, car même si Jean Rottner a évalué les besoins à 2 milliards d’euros, il estime que l’enjeu n’est pas de budgéter une somme fixe décidée en amont, mais de mobiliser les moyens nécessaires pour être au rendez-vous. Sur le terrain, dans le Grand Est, loin de Paris.

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