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Comment la qualité de vie au travail se judiciarise

Depuis quelques années, les procédures judiciaires contre les administrations notamment sur des sujets liés aux conditions de travail se multiplient. Un phénomène qui, de l’avis des personnes interrogées dans le cadre de cet article, n’est pas près de s’arrêter.

Le jeu est connu. Dans le privé comme dans le public, rares sont les syndicats à aller dans le sens de leur employeur et c’est d’ailleurs leur rôle. Pour autant, ces dernières années et face à des situations touchant plus particulièrement aux conditions de travail, l’administration s’est retrouvée, à plusieurs reprises, devant les tribunaux administratifs. Premier exemple, le cas du ministère de la Justice. Ainsi, comme l'explique le syndicat de la magistrature dans un communiqué, "dans le prolongement de la tribune parue dans le Monde le 23 novembre 2021 et compte tenu de l’indigence de la réaction du Garde des Sceaux face à l’appel au secours des magistrats et agents de greffe quant à la dégradation de leurs conditions de travail, le CHSCT du ministère de la Justice a demandé qu’une expertise soit menée par un expert agréé sur la situation de risque grave existante au sein de la Direction des services judiciaires le 25 janvier 2022". Une première demande d’expertise qui a été rejetée. Face à ce refus, plusieurs organisations syndicales et des membres du CHSCT ont saisi le tribunal administratif de Paris au fond et en référé pour demander : au fond, l’annulation de ces décisions de refus de la demande d’expertise, en référé dans l’attente de cette éventuelle annulation, la suspension de ces décisions, l’injonction au ministère d’accepter la demande d’expertise pour risque grave et le choix de l’expert choisi par le CHSCT.

"Il n'y a jamais eu de vote d’expertise [par le CHSCT] avec désignation d’un expert indépendant, souligne Anne-Sophie Wallach, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. C'est une première en administration centrale." Le tribunal administratif a rejeté la demande d'expertise au motif qu’il n’y a pas d’urgence. Une analyse difficile à partager pour les syndicats qui mettent en avant les différents incidents survenus au cours des derniers mois et la tribune signée par 3000 magistrats et une centaine de greffiers intitulée : "Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre".

Sur le motif du refus de l’expertise, le ministère de la Justice n’a pas souhaité s’exprimer. Pour autant, sa porte-parole, Anne Givaudand, constate également que ce type de démarche se multiplie dans les administrations. "Je souhaite néanmoins rappeler les travaux menés en lien avec les représentants des personnels et dispositifs actuellement mis en œuvre majoritairement initiés depuis ces deux dernières années, justifie-t-elle. Un plan ministériel, une charte de lutte contre les phénomènes de violences, une charte de l’équilibre des temps, un accord télétravail, un plan égalité et diversité, le recrutement de psychologues du travail ou encore la mise en place de tutorat pour les magistrats qui prennent leurs fonctions."

Autre exemple de même nature, celui de l’Office national des forêts (ONF). L’intersyndicale des personnels de l’ONF a attaqué en justice le contrat État-ONF 2021-2025, notamment pour un motif lié aux conditions de travail. "Par ce contrat, le gouvernement décide de supprimer 500 emplois supplémentaires à l’ONF d’ici 2025. Pourtant le dérèglement climatique et le dépérissement des forêts vont nécessiter de plus en plus de travail, suivi sanitaire et renouvellement des peuplements forestiers", dénonce l’intersyndicale.

Mieux prendre en compte les RPS

Et de poursuivre : "audits internes, expertises agréées indépendantes, enquête des CHSCT, depuis 15 ans, les représentants des personnels ont utilisé tous les outils mis à leur disposition et tous les moyens d’alerte possible pour tenter de défendre la santé au travail des personnels. Durant cette période, ce sont plus de 50 personnels de l’ONF qui ont mis fin à leurs jours." Une démarche également peu courante comme le confirme Patrice Martin de Snupfen Solidaires. "Ce n’est pas souvent que le représentant d’un établissement public attaque l’État, mais nous avons utilisé tous les recours pour préserver la santé des personnels et tous les audits sociaux et organisationnels réalisés ont tous dressé le même constat, la nécessité de stabiliser les effectifs."

L’intersyndicale se dit assez optimiste concernant l’issue de la procédure, "peut-être pas en première instance car en général le tribunal administratif protège l’État, mais nous restons optimistes sur le résultat final." Sans forcément aller jusque devant les tribunaux, on constate que les demandes d’expertises émanant des CHSCT se multiplient. "Il n’y a rien eu pendant plusieurs années et ces derniers mois, les demandes d’expertise se multiplient sans que l’on sache vraiment pourquoi", témoigne un responsable RH issu d’une collectivité.

Au sein du conseil régional d’Ile-de-France, on reste pour le moment en dehors du contentieux judiciaire mais plusieurs demandes d’expertises émanant du CHSCT ont été enregistrées sur des sujets qui n’ont pas toujours abouti. Deux expertises ont été demandées à la suite d’incidents dans les services de la région. En cause notamment des cas de burn-out sévères, mais aussi une tentative de suicide, hors du lieu de travail. Une expertise a également été réalisée au moment du passage en flex office, ce qui fait au total 3 expertises réalisées et clôturées. Une expertise a aussi été commanditée et réalisée par le CHSCT au sein de l’université Paris-Descartes. Elle portait sur les risques psycho-sociaux dans le processus de fusion et a fait apparaître notamment "une surcharge de travail dans les équipes, une cohabitation pas toujours simple entre des cultures administratives différentes, un besoin de reconnaissance de l’investissement des collectifs et des individus ou encore la nécessité de donner de la visibilité à moyen terme sur le calendrier des projets." Autant de démarches qui, de l’avis des syndicats, mettent en avant un malaise global au niveau des conditions de travail dans l’administration avec la nécessité de prendre davantage en compte les risques psycho-sociaux liés notamment aux baisses d’effectif.

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