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Agnès Verdier-Molinié : “Plus de lisibilité et moins de complexité dans le prochain quinquennat !”

La directrice de la Fondation Ifrap dresse un bilan critique de la modernisation de l’action publique dans l’actuel quinquennat et invite à des réformes et à des simplifications fortes pour les cinq prochaines années.

Comment transformer l’État et l’action publique durant le prochain quinquennat ? Avec quelles méthodes et quelle ambition ?
La transformation de l’action publique sur ces cinq dernières années laisse un goût d’inachevé. Je parle bien de l’action publique dans son ensemble – État, collectivités et hôpitaux publics –, avec des dépenses publiques qui dépassent maintenant les 1 400 milliards d’euros par an. On peut même se demander si cette modernisation a effectivement démarré ! La réorganisation des missions publiques permettant de produire des services publics plus efficaces n’a pas eu lieu – ou insuffisamment –, la transparence, la comparabilité et le contrôle du Parlement sont largement à revoir. Plus largement, la simplification voulue initialement a laissé place à une certaine complexification. Prenez l’exemple du RSA [le revenu de solidarité active, ndlr], aujourd’hui à la main des départements et qui pourrait être repris, à la demande de certains d’eux et de manière hétérogène, par l’État. Ce n’est ni cohérent ni lisible : pourquoi le RSA serait-il repris pour ce département-là et non pour cet autre ? Comment envisager une rationalisation et une évaluation des dispositifs si cela est géré de manière aussi distincte ? Pour transformer l’action publique dans le prochain quinquennat, il faudra donc plus de lisibilité et moins de complexité. L’enchevêtrement des interventions entraîne un surcoût de production de nos services publics, avec un accroissement en part de PIB par rapport aux pays comparables. Nos travaux ont estimé à 84 milliards d’euros ce surcoût de production annuel. 

Le RSA comme l’ensemble des aides sociales doivent être fusionnées, plafonnées, rendues imposables et gérées par Bercy.

Quelles solutions proposez-vous pour éclairer le débat public pendant cette présidentielle ?
Certaines interventions publiques doivent être recentralisées et d’autres, totalement décentralisées. Le RSA comme l’ensemble des aides sociales (AAH, APL, allocations familiales…) sous critères de ressources doivent être fusionnées, plafonnées, rendues imposables et gérées par Bercy sous forme de crédit d’impôt. Au-delà, l’État doit garder dans son champ tous les sujets régaliens : sécurité intérieure, sécurité extérieure, diplomatie, représentation à l’étranger, etc. De leur côté, les régions récupéreraient les politiques publiques de santé, d’éducation, d’emploi et de culture. Ces problématiques seraient mieux gérées, comme en Allemagne, au plus près du terrain et des enjeux territoriaux. Nous avons besoin d’une vague ambitieuse de décentralisation. Une dimension nouvelle serait ainsi donnée aux régions qui en France, aujourd’hui, pèsent 29 milliards d’euros de budget contre plus de 330 milliards d’euros pour les Länder allemands. Que représentent les régions françaises aujourd’hui ? Elles gèrent l’entretien des bâtiments des lycées mais pas leurs enseignants : c’est un non-sens. Pas de budget consolidé par établissement scolaire ? Pas d’évaluation possible de la qualité/coût de l’enseignement par établissement… La recherche d’efficience est donc rendue quasi impossible. 

La vision hyperstatutaire de la santé publique doit être dépassée.

Quels enseignements peut-on tirer de la crise sanitaire pour transformer l’action publique dans le prochain quinquennat ? 
La crise sanitaire a mis le projecteur sur le manque d’agilité des acteurs publics et sur la concurrence entre décisions nationales et décisions locales. Entre les maires, les agences régionales de santé et les préfets, les ministres, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam)… on ne sait plus qui décide. Les conseils régionaux n’étaient tenus au courant quasiment de rien quant à l’utilisation des lits de réanimation, les capacités des cliniques privées n’étaient pas suffisamment utilisées – au moins au début de la crise –, ce qui a entraîné des déplacements de malades de certains hôpitaux alors que les cliniques voisines avaient des places disponibles. C’est l’un des enseignements pour le prochain quinquennat : on a vu toute la perte d’énergie et d’efficacité d’un système hospitalo-centré sur l’hôpital public. L’hôpital n’est pas le seul endroit pour soigner les gens, la médecine de ville existe aussi ! Cette vision hyperstatutaire doit être dépassée. La suradministration de la santé publique, que nous avons mise en lumière dans une étude de la Fondation Ifrap de septembre 2020, est tout sauf synonyme d’efficacité. En France, on dépense davantage (15 milliards de plus par an…) qu’en Allemagne pour nos hôpitaux publics et cela marche moins bien. L’allocation des moyens doit être revue d’urgence. Tout comme celle des rémunérations. Pour poursuivre la comparaison avec l’Allemagne, les personnels de santé outre-Rhin sont davantage contractuels ; les délégations de service public sont plus nombreuses ; la médecine de ville est pleinement associée au parcours de soins et permet de soigner en “premier niveau”, les urgences étant sollicitées pour les cas graves. Affirmer que l’hôpital public est la réponse à toutes les préoccupations de santé publique est absurde. Quant au projet de “grande Sécu” qui vise à supprimer les complémentaires et à confier toute notre santé à la Cnam, il va totalement à contre-sens de ce qu’il faudrait faire (et qui existe déjà avec la MGEN), c’est-à-dire faire gérer la maladie au premier euro par des caisses, assurances, mutuelles en concurrence. C’est cela qui fonctionne pour faire baisser les coûts de gestion aux Pays-Bas et en Suisse.

L’autonomie des managers publics en matière de recrutement est une solution à mettre en œuvre lors du prochain quinquennat.

L’approche budgétaire qui prévalait en matière de fonction publique lors de la campagne de 2017 – pendant laquelle les promesses de suppressions de postes se sont multipliées – devra-t-elle laisser place à une vision pluriannuelle ? 
En effet, une vision pluriannuelle cohérente en matière d’effectifs publics doit s’imposer. Il est temps. À quoi bon augmenter le nombre de professeurs quand on rémunère tous les ans plus de 40 000 enseignants du public en surnombre qui ne sont pas devant les classes pour un coût de 3 milliards d’euros ? Aujourd’hui, notre logique est de promettre un emploi à vie aux fonctionnaires avec un salaire qui est peut-être inférieur à leurs aspirations mais avec une bonne retraite. L’approche est globale : tous les effectifs sont appréhendés dans une gestion collective, uniforme, statutaire, administrative. Cela n’inspire pas les vocations. La vision syndicale selon laquelle “on ne touche à rien” prédomine. Au-delà, la question du nombre d’heures travaillées et celle de l’absentéisme impactent fortement les masses salariales de l’État et des collectivités, bien plus importantes en part de PIB que celles de nos voisins. Mais ces sujets restent tabous. Certes, la loi de transformation de la fonction publique de 2019 a permis des avancées notables, particulièrement avec l’ouverture à la contractualisation et la possibilité pour des profils du privé d’occuper des postes de direction dans le secteur public. La réforme des retraites a notamment buté sur la question des fonctionnaires, car les retraites publiques ne peuvent être maintenues à terme au même niveau. La bonne solution est d’opérer tous les nouveaux recrutements sur contrat – hors champ régalien – et de concevoir une rémunération basée sur l’implication de l’agent. Surtout, il faut permettre aux managers de procéder à leurs propres recrutements. Les chefs des établissements scolaires publics sont demandeurs. Cela leur permettrait de constituer des équipes pédagogiques responsabilisées et plus impliquées. L’autonomie des managers publics en matière de recrutement est une solution à mettre en œuvre lors du prochain quinquennat. Concernant les chiffres, nous observons, à la Fondation Ifrap, une augmentation des plafonds d’emplois de 45 136 équivalents temps plein annuel travaillés (ETPT) de 2017 à 2022 pour l’État ses agences ; sous Nicolas Sarkozy, c’était une baisse de 223 728 ETPT et une hausse de 27 677 sous François Hollande, sans même évoquer les administrations publiques locales. Donc, en dépit des promesses de baisse, l’emploi public continue d’augmenter. Sur le quinquennat, nous avons chiffré que la masse salariale publique aura vraisemblablement augmenté de plus de 20 milliards d’euros.

La crise sanitaire n’a-t-elle pas permis quelques avancées ? La numérisation de certains processus, par exemple, qui pourrait inspirer le prochain quinquennat ? 
Des avancées sont certes à relever, mais c’est surtout l’arrêt trop important de nos administrations publiques au début du premier confinement, en mars-avril 2020, qui interpelle. La gestion numérique a distance de la puissance publique s’est révélée bien moins efficace que dans les entreprises, où les adaptations ont été mises en œuvre en quelques jours ! Aucun autre pays n’a mis à l’arrêt ses administrations avec des autorisations spéciales d’absence aussi nombreuses. L’impact sur l’activité française a été considérable. 

Vous pointez donc une gestion et un management à revoir dans les années à venir…
Nos administrations publiques comptent beaucoup de grands serviteurs de l’action publique, mais les choses doivent évoluer. Nos hauts fonctionnaires doivent montrer l’exemple. S’appliquer à eux-mêmes le principe de la transparence qui s’applique aux politiques, être plus responsables de leur gestion devant la représentation nationale. Accepter d’être embauchés sous contrat (hors magistrats) et ceux qui s’engagent en politique devraient avoir l’obligation de démissionner. L’ambition de la réforme de la haute fonction publique est forte, mais le gouvernement aurait tout intérêt à adopter ces principes de contractualisation, de transparence, de responsabilité et de démission obligatoire en cas d’engagement politique pour en renforcer la crédibilité et l’impact. Sinon, on dira plus tard qu’on a juste changé le nom de l’ENA.

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Club des acteurs publics

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