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450 préfets et sous-préfets à l’heure du choix après la réforme de leur statut

L’Assemblée générale de l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (ACPHFMI), organisée le 6 décembre, a été l’occasion d’une table ronde relative à la réforme de la haute fonction publique, avec plusieurs précisions apportées par l’administration sur la suppression du corps préfectoral, qui entrera en vigueur le 1er janvier.

L’auditoire était en attente de réponses. À l’occasion de son assemblée générale et à quelques jours de l’entrée en vigueur de la suppression du corps préfectoral, l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (ACPHFMI) a organisé, le 6 décembre dans la salle des fêtes de la Place Beauvau, une table ronde animée par Acteurs publics. L’occasion pour les différents acteurs chargés de la réforme de venir convaincre une strate de l’État toujours très fortement marquée par la perte de ce symbole de l’identité collective, mais rompue aux postures de résilience.

“Une réforme accompagnée par l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (ACPHFMI), s’est félicité Christophe Mirmand, son président, en préambule des échanges. À quelques jours de la mise en extinction du corps préfectoral, nous faisons face à une diminution importante de nos effectifs, de 36 %, une limite en dessous de laquelle il me semble difficile de descendre”, a aussi prévenu le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, avant de saluer des arbitrages favorables à la profession dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, à même de “montrer la force de l’attrait de la fonction préfectorale, de sa liberté d’agir et d’adapter la mise en œuvre des politiques publiques.”

Rester dans le corps
ou intégrer celui des administrateurs de l’État

“Si le corps préfectoral dans la forme que nous avons connue n’est plus, que vive longtemps encore ce corps immatériel de l’État dont la fonction persiste, comme notre besoin de compter dans chaque territoire des femmes et des hommes dévoués au service de la France, par beau comme par gros temps !” a pour sa part tenté de relativiser le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dans son discours. Il a aussi insisté sur la sanctuarisation des moyens dans les préfectures. “Les ressources humaines ne sont peut-être pas la grande qualité de ministère de l’Intérieur…” a-t-il glissé dans une de ces punchlines dont il a le secret.  

Au cours de l’année 2023, 450 préfets et sous-préfets auront à activer ou non le droit d’option : rester dans leurs corps en voie d’extinction ou intégrer le nouveau corps des administrateurs de l’État (AE). Dans les faits, les incitations à basculer dans le corps des AE seront relativement fortes, financièrement parlant.  

À l’aube de ce choix, 3 dates d’entrée possibles ont été prévues : les 1er janvier, 1er juillet ou 31 décembre prochains. “Il sera nécessaire de s’exprimer sur ce droit d’option avant ces 3 dates par le biais d’un formulaire accompagné d’un document d’information”, a rappelé Olivier Jacob, secrétaire général adjoint du ministère de l’Intérieur et directeur de la modernisation et de l’administration territoriale (DMAT), lors du débat.

Les préfets et sous-préfets auront la faculté de réaliser des simulations sur un reclassement dans le corps des administrateurs de l’État, qui implique un gain indiciaire susceptible de varier en fonction de l’ancienneté. “Cela relève aussi d’une stratégie individuelle selon que l’on est en attente, ou non, d’un avancement de chevron, a rappelé Olivier Jacob. Il faut savoir que le gain indiciaire peut s’étaler de 20 à 70 points d’indice supplémentaires en brut.”  

Le gestionnaire de la préfectorale a mis l’accent sur la création d’une mission “mobilité extérieure” au sein du ministère de l’Intérieur pour améliorer l’accompagnement dans la construction des parcours. “Les profils des préfets et sous-préfets sont très recherchés y compris dans le privé, a insisté Olivier Jacob, pour convaincre que les agents de la préfectorale ont des atouts à faire valoir à l’extérieur. Ils ont une excellente connaissance de l’appareil d’État, du monde politique et de la manière dont les élus travaillent, sans compter leurs compétences en matière de management d’équipe.”  

Ne pas subir la mobilité

La mobilité revêt un gros enjeu dans ce ministère où 230 hauts fonctionnaires détiennent le titre de préfet... pour seulement 130 emplois de préfets. Olivier Jacob est par ailleurs revenu sur un point important de la réforme : les préfets et les sous-préfets ne pourront plus exercer sur ce type de fonctions en continu pendant plus de neuf ans. La règle n’entrera en application que dans neuf ans, en 2032. Mais pour ne pas subir les mobilités (possiblement effectuées dans l’administration centrale de ce ministère), les agents auront tout intérêt à les anticiper. On estime aujourd’hui qu’un tiers des préfets hors classe (les préfets les plus “capés”) ont dépassé le seuil des neuf ans. Dans ce contexte, le patron de la DMAT a indiqué que les postes de directeurs d’administration centrale du ministère de l’Intérieur auraient vocation, dans le futur, à être davantage qu’aujourd’hui confiés à des préfets.

La table ronde du 6 décembre fut aussi l’occasion d’apporter quelques précisions sur un sujet sensible : l’interdiction du droit syndical et du droit de grève, que la suppression du corps fait voler en éclats. Le gouvernement a tergiversé ces derniers mois sur la manière de maintenir ces interdictions, entre considérations juridiques et politiques. La DMAT travaille actuellement sur une prise de décret pour interdire le droit de grève. Concernant l’interdiction du droit syndical, il est paradoxalement nécessaire d’élever le niveau de norme et de légiférer : “les conséquences d’une jurisprudence communautaire”, a souligné Olivier Jacob. Un droit de représentation pourrait toutefois être matérialisé à cette occasion. Dans une position inconfortable, le ministère cherche une fenêtre de tir législative, ce qui n’a rien d’évident dans la configuration parlementaire actuelle.

Au cours de ces échanges, la directrice générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), Nathalie Colin, ancienne préfète du Cher, a pour sa part mis en avant la plus-value du nouveau système, qui en laisse plus d’un sceptique. “On abandonne des corps pour un corps, a tenu à rappeler Nathalie Colin, en réponse à une question sur le basculement d’une logique de corps à une logique d’emploi. Notre ambition est d’organiser des parcours de carrières plus riches et plus fluides pour les hauts fonctionnaires. Alors que le corps préfectoral accueille de nombreux fonctionnaires de l’extérieur, force est de constater que ses membres n’en sortent pas beaucoup. La réforme implique donc une réorganisation statutaire pour une approche qui se veut plus cohérente. Tout le monde obéit aux mêmes règles pour plus d’équité dans le déroulement des carrières.”   

Avec la réforme, la mobilité devient obligatoire pour changer de grade, mais il sera possible de rester plus longtemps dans son second grade, sans plafonner, a-t-elle assuré.

Nouvelle grille indiciaire

“La réforme implique également une revalorisation indemnitaire pour aller vers plus de cohérence et d’équité”, a rappelé Nathalie Colin, alors que le pouvoir macronien a fait de l’équité l’un des éléments de son storytelling politique. Jusqu’à présent, les administrateurs civils de l’Intérieur sortis de l’ENA étaient les mieux rémunérés en début de carrière, mais cet avantage les obligeait ensuite à stagner plus tard, ce qui limitait les marges de progression. À la sortie de l’ENA, l’écart de rémunération entre les administrateurs des différents ministères pouvait aller jusqu’à 10 000 euros par an.

La réforme aura également un impact sur le calcul des retraites de préfets et sous-préfets. “Avec la nouvelle grille indiciaire, le taux de remplacement sera potentiellement meilleur qu’aujourd’hui”, a précisé Nathalie Colin.

Une autre approche de la réussite professionnelle
dans la fonction publique

Très attendue, la déléguée interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) – nommée dans le cadre de la réforme –, Émilie Piette, a pour sa part placé la formation et les compétences des cadres au cœur de ses priorités. “Le référentiel interministériel de compétences sera élargi et nous y introduisons la notion d’incarnation, comme par exemple la capacité sociale des préfets, a détaillé Émilie Piette. Dans cette perspective, nous travaillons avec l’INSP [l’Institut national du service public, qui a remplacé l’ENA le 1er janvier dernier, ndlr] qui va devenir la porte d’entrée en matière de formation continue pour l’ensemble des cadres supérieurs de l’État.” L’objectif de la Diese étant d’élaborer le catalogue le plus unifié possible en laissant chaque ministère construire sa propre offre de formation. “Notre ambition est aussi de faciliter l’accès des cadres à la formation. Globalement, ils se forment de moins en moins, il faut alors réfléchir à des formats courts, mais aussi à des systèmes de formation à distance.”

En réponse à une question de la salle sur la plus-value du nouveau système face à des situations de “placardisation”, Émilie Piette, ancienne secrétaire générale des ministères de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, également passée par le secteur privé, a notamment esquissé une nouvelle approche de la réussite professionnelle dans la fonction publique. Alors qu’aujourd’hui, de nombreux éléments poussent à manager des équipes toujours plus importantes, il s’agira à l’avenir de promouvoir aussi des parcours horizontaux portés par des compétences mieux reconnues dans l’expertise, l’accompagnement ou le coaching, a-t-elle en substance expliqué. À l’heure actuelle, un certain nombre d’agents réalisent de très bons débuts de carrière (chef de bureau, sous-directeur, chef de service, voire directeur d’administration centrale), mais peuvent ensuite être amenés à plafonner après 45 ans alors que les carrières ne cessent de s’allonger.

En clôture des échanges, le secrétaire général du ministère de l’Intérieur, le préfet Jean-Benoît Albertini, a tenu à saluer l’engagement des préfets et sous-préfets, particulièrement sollicités au cours de ces deux dernières années marquées par la pandémie de Covid-19. “Au-delà des dispositifs institutionnels et des protocoles, ce sont d’abord des communautés de travail et des énergies individuelles qui sont sollicitées et qui l’ont été, au cours de cette période avec une intensité particulière, a-t-il notamment déclaré. Et cela nous a fait sentir, dans certains cas, une limite à ne pas dépasser tant est perceptible le sentiment de fatigue, voire d’épuisement.”  

Accent mis sur l’attractivité

L’ancien préfet de Vendée est également revenu sur la réforme en cours. “Nous avons porté l’accent sur 3 dimensions : préserver et renforcer ce qui relève des métiers et expertises nécessaires à l’exercice de nos missions ; veiller à maintenir l’attractivité de nos fonctions ; garantir les conditions de reclassement pour celles et ceux qui feront ce choix”, a ainsi énuméré Jean-Benoît Albertini en rappelant aussi “l’obligation de nommer les deux tiers des préfets à partir d’un vivier garantissant une expérience suffisante en administration territoriale, critère qui est même plus exigeant que celui du statut actuel”. Une manière de rassurer sur la sociologie de la future élite préfectorale, alors que les sous-préfets se sont sentis particulièrement visés par la fonctionnalisation.

À propos du droit d’option dont disposent les préfets et les sous-préfets, le haut fonctionnaire a posé le décor : “Ils feront leur choix, faut-il le préciser, sans que celui-ci n’emporte aucune conséquence sur la suite de leur carrière.”  

Le secrétaire général du ministère a enfin rappelé les apports de la réforme en matière d’attractivité avec notamment l’indemnité de mutation, la prise en charge intégrale des déménagements sans reste à charge pour les agents, le dégrèvement de la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires ou encore la fin des surloyers appliqués à certains logements de fonction dans le parc locatif.  

Ainsi s’est achevée la dernière assemblée générale du corps préfectoral. Chacun est reparti chez soi, avec un choix à opérer, en fonction de ses propres critères : financier, symbolique, identitaire. Le niveau d’adhésion dans le corps des AE au 31 décembre 2023 constituera à n’en pas douter un fort enjeu pour l’administration et pour le pouvoir politique. Compte tenu des incitations financières, une moindre adhésion serait un message négatif, sans pour autant qu’une forte adhésion puisse être vraiment interprétée comme signe d’acceptation…

Le gestionnaire change de nom
Dans une réforme, les intitulés, les organigrammes et les acronymes ont leur importance. L’organigramme de la direction de la modernisation et de l’administration territoriale (DMAT) va évoluer pour prendre le nom de “direction du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur” (DMATES), avec un renforcement de l’animation de ses réseaux et une capacité accrue en matière d’évaluation et de prospective. Au sein de cette direction, la très emblématique sous-direction du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires deviendra la “sous-direction des autorités préfectorales et de l’encadrement supérieur”.

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